Tout pour le profit

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'examine ici l'idée selon laquelle les industriels et commerçants seraient motivés uniquement par une logique de profit maximum. C'est-à-dire que la motivation financière écraserait toutes les autres.

En réalité les employés des entreprises privées ne sont pas motivés uniquement par l’argent, pas plus que les autres hommes. L’argent est une source de motivation parmi d’autres, dont l’importance relative fluctue au gré des individus et des circonstances. Il arrive très souvent qu’un travailleur du privé refuse un emploi mieux rémunéré parce qu’il préfère un autre emploi moins rémunéré, soit parce que ça l’intéresse plus, soit parce qu’il préfère la culture de la compagnie, soit parce qu’il croit aux produits et aux services qu’il contribue à créer ou à commercialiser.

En fait, un travailleur qui va bosser tous les matins uniquement pour l’argent est un homme profondément malheureux. C’est quelqu’un qui n’aime rien dans son boulot, et donc il le fait mal. Il aura une carrière peu brillante. Souvent ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux qui étaient passionnés par ce qu’ils faisaient, et pour qui l’argent n’est venu qu’après-coup. Et cela, à tous les échelons de la compagnie, de l’employé le plus humble jusqu’au PDG et au conseil d’administration.

Je ne dis pas que l’argent n’est pas important, mais juste que c’est inhumain d’avoir une passion exclusive (l’argent ou une autre) à laquelle on sacrifie toutes les autres dimensions. Si on part du principe que ceux qui bossent dans le secteur privé sont par définition inhumains, si on les démonise a priori, c’est sûr qu’on va aboutir à de drôles de conclusions. Mais ces conclusions n’auront aucun rapport avec la réalité.

Pour toucher du doigt le caractère étrange de cette supposition, imaginez que vous réunissez dix personnes autour d’une table. Est-ce qu’il est possible qu’une seule et même chose les motive tous les dix ? Non ! Untel veut être célèbre, tel autre veut être riche, un troisème veut être intelligent, un quatrième du pouvoir, le cinquième veut travailler le moins possible, le sixième veut juste être heureux dans la vie, le septième met sa famille en premier, le huitième veut sauver des vies humaines, le neuvième veut répandre le bien, et le dixième ne sait pas ce qui le motive. Les êtres humains sont tous fondamentalement différents les uns des autres, et il n’y en a pas deux qui aient la même opinion. Il est donc inimaginable que les 16 millions de gens qui travaillent dans le secteur marchand en France puissent être motivés par un seul et même objectif à l’exclusion de tout autre.

Quant au mythe selon lequel les hommes politiques et fonctionnaires, eux, ne considèrent pas leur intérêt individuel et agissent uniquement pour le bien public (en supposant qu’un tel concept puisse être défini), il a été définitivement explosé par la théorie des choix publics de James Buchanan, prix Nobel d’économie 1986. C’est un mythe essentiellement propagé par les institutions d’enseignement contrôlées par des fonctionnaires, et on voit bien pourquoi. Si on part du principe que ceux qui bossent dans le secteur public sont des saints, c’est sûr qu’on va aboutir à de drôles de conclusions. Mais ces conclusions n’auront aucun rapport avec la réalité.

Gallatin







Réponse d'Emmanuel:



Pour résumer mon état d'esprit après lecture de ton article sur l'intérêt financier: "Touché mais pas coulé".

« Souvent ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux qui étaient passionnés par ce qu’ils faisaient, et pour qui l’argent n’est venu qu’après-coup. » Entièrement d’accord, c’est une caractéristique fréquente chez la plupart des patrons d’entreprise que j’ai côtoyé. Cela dit c’était rarement des philanthropes.

Certains systèmes deviennent néanmoins des machines où le seul et unique critère est l’argent. Je conseille vivement de voir le documentaire « Sicko » de Michael Moore notamment pour l’audition (par une commission américaine) d’une femme médecin qui explique que son travail dans une compagnie d’assurance était de refuser la prise en charge des soins des assurés. Son avancement était lié aux résultats financiers obtenus, c'est-à-dire à l’argent non dépensé. Visiblement, le fait avoir accéléré la mort de nombre de ses assurés n’a pas rendu ce médecin heureux mais il s’est accommodé du système pendant bien longtemps. Et une immense majorité de ces collègues s’en accommode toujours si l’on juge les résultats financiers des compagnies d’assurance américaines.

En France il a fallut 29 années pour que l’amiante soit finalement interdite. Les résistances des entreprises concernées malgré les évidences sont un autre exemple de cet engrenage financier qui rend une activité à proprement parler criminelle.

Les fonctionnaires bien évidemment sont eux aussi parfois soumis à ces systèmes qui les font arbitrer contre l’intérêt public. Et je ne parle même pas ici des mécanismes de corruption.

Prenons l’exemple de la vaccination en France. Je ne m’étendrai pas ici sur l’inutilité et la nocivité des vaccins (c’est un avis personnel), sujet tabou au pays de Pasteur. Mais il convient de remarquer que la France continue d’obliger les nourrissons à recevoir 4 vaccins, alors que la plupart des pays européen ont reconnu la liberté de vaccination (certains pays ont même interdit des vaccins autorisés en France). Ces pays ne sont pas plus touché par des maladies graves que la France. Mais la France est le premier pays producteur de vaccin au monde. C’est notre camembert au lait cru médical. On n’y touche pas. Mieux on le subventionne au détriment de la santé des individus. Dans ce cas les entreprises poussées par leur propre intérêt mercantile, instrumentalisent le pouvoir régulateur de l’Etat pour maximiser leurs profits (cela me fait toujours bizarre d’utiliser une dialectique marxiste!) sans considération des besoins réels des clients.

Une digression au passage sur les fonctionnaires : un système peut aussi leur faire prendre des décisions contraires au bien public par soumission à des critères idéologiques. On pense à l’affaire du sang contaminé. Pour ne pas « discriminer » les prisonniers, on a sciemment continué à prélever du sang infecté du virus HIV. Dans ce cas c’est la pression idéologique du système qui a primé.

En conclusion, le terme « uniquement » pour qualifier les motivations financières des entreprises et entrepreneurs est sans conteste exagéré, mais il reste que certaines entreprises et certains entrepreneurs sont ou deviennent guidés uniquement par des considération mercantiles.

Le fait de dire qu’il existe naturellement d’autres motivations que l’argent, ce qui est vrai, n’enlève rien au fait que certaines personnes ou organisations ont pour unique motivation – et principal critère d’évaluation – l’argent. C’est un ensemble de facteurs qui créent un système ; ce système, une fois mis en place, devient le référent au détriment du bon sens naturel.

Refuser au nom d’un principe de se protéger d’une réalité dans certains cas précis me semble relever de l’angélisme, compréhensible pour un vieux professeur germanique dans son bureau, moins pour des responsables politiques (noter le mot « responsable »). Le monde est imparfait. Dans un monde sans régulation, les plus forts, les plus malins vont très souvent chercher à abuser des plus faibles, des gogos. C’est humain. Par nature ces régulations sont imparfaites ; elles sont créées et appliquées par des humains, pire des fonctionnaires (c’est une blague… pas la peine de réagir sur ce propos), mais ne sont-elles préférables au vide, lui-même imparfait.

Un dernier mot pour parler d’expérience personnelle : ayant passé beaucoup (trop) de temps en Chine ces dernières années dans des usines, tout consommateur conscient devrait allumer un cierge pour remercier l’Etat français des normes obligatoires concernant les produits de grande consommation.

Emmanuel.


La suite du débat ici.

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