Qu’est-ce que le libéralisme ?

C’est l’idéologie politique qui a renversé les monarchies à la fin du XVIIIème siècle. Elle ne peut être comprise que dans le contexte de la monarchie. C’est une fille de son époque, et il est nécessaire de remonter aux sources pour la comprendre. Fort heureusement ce n’est pas difficile parce qu’elle a eu tellement de succès, faisant douter les monarques de leur bon droit à régner et à commander leur peuple, que ses réverbérations sont parvenues jusqu’à nous. Il faut juste la dépouiller de la gangue qui l’a entourée et qui a été rajoutée après-coup.

Pour bien apprécier son importance, souvenons-nous qu’une élite dominante n’abandonne jamais volontairement le pouvoir, tant qu’elle croit à sa propre autorité.

Une illustration de cette loi est l’abandon du pouvoir par le régime soviétique en 1989, qui n’a eu lieu que parce que le KGB, l’élite du parti communiste, s’était rendu compte que le produit intérieur brut de l’URSS était moins de 4% de celui des Etats-Unis. Cette constatation a validé une fois pour toutes la supériorité de la doctrine libérale dans le domaine de l’organisation économique. D’ailleurs, personne ne remet en cause aujourd’hui le fait que le meilleur moyen de fournir la population en papier-toilettes (pour prendre un exemple au hasard) est de permettre aux propriétaires des usines de papier-toilettes de se faire concurrence les uns aux autres afin de laisser les consommateurs récompenser financièrement les fournisseurs qui répondent le mieux à leurs besoins. Ce n’est pas d’avoir un monopole de la production du papier-toilettes confié à une usine nationalisée gérée « par le peuple et pour le peuple ».

Dans le domaine politique, c’est exactement pareil. Deux siècles auparavant, les élites qui gravitaient autour des monarques héréditaires se sont mises à douter de la légitimité de leur pouvoir. Les idées qui ont causé cette remise en question étaient les idées libérales dans leur dimension non pas économique mais politique. L’antériorité de cette révolution idéologique sur celle de 1989 témoigne de l’importance supérieure de la politique sur l’économie. Des idées aussi puissantes méritent d’être revisitées – quelles étaient-elles ?

Selon la Déclaration d’Indépendance Américaine du 4 juillet 1776, les hommes « sont doués par leur Créateur de droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.»

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 se porte garante de « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

Même Louis XVI, imprégné des valeurs de son époque, a dit : « Il y a quatre droits naturels que le prince est obligé de conserver à chacun de ses sujets ; ils ne les tiennent que de Dieu et ils sont antérieurs à toute loi politique et civile : la vie, l’honneur, la liberté et la propriété. »

On voit une confluence qu’on peut résumer ainsi, au-delà des variations de vocabulaire : l’homme possède 3 droits naturels qui sont la vie, la liberté et la propriété ; ils sont antérieurs et supérieurs à tout gouvernement instauré entre les hommes. L’objectif du libéralisme est de protéger ces droits naturels contre les abus du gouvernement.

Que l’état soit démocratique ou non n’y change rien : ce qui compte, c’est de se protéger contre lui. Le caractère démocratique d’un état n’est pas un excuse justifiant qu’il commette n’importe quel abus contre les droits naturels de ses citoyens, c’est un moyen pour empêcher que ces abus n’aient lieu. Si ce moyen échoue, le libéralisme recommandera l’adoption d’autres méthodes plus vigoureuses, ce qui impliquera l’abandon du système démocratique standard. Le libéralisme peut donc s’opposer à la démocratie.

Les politiques libérales classiques du XVIIIème siècle :

  1. droit de vote,

  2. liberté d’expression,

  3. constitution limitant le pouvoir de l’état sur le citoyen,

  4. séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire,

sont évidemment conçues avec un seul objectif : protéger les droits naturels des hommes contre les abus de l’état.

Ont-elles fonctionné comme prévu ? Non. L’histoire sanglante du XXème siècle en est la preuve. Pas la peine de faire un dessin.

Pourquoi pas ? Une analyse théorique permet de mettre à jour certaines failles structurelles :

  • Le fait que les gouvernants n’aient le pouvoir que jusqu’à la prochaine élection et ne puissent le léguer en héritage à leurs enfants rend leur horizon de décision plus court, et ils seront systématiquement incités à sacrifier le long terme au court terme.
  • Ce système institutionnalise une compétition entre les producteurs d’idéologies collectivistes susceptibles de leurrer les masses, qui fait que les menteurs les plus accomplis sont ceux qui parviennent au sommet de l’état.
  • La libre entrée dans la fonction de gouvernement permet de co-opter et de corrompre n’importe quel individu qui, par son talent, ses efforts et sa réussite pourrait sinon constituer une menace à l’institution.
  • L’argent des impôts peut être réinvesti par l’institution étatique dans la production d’idées destinées à faire croire à la majorité des gens que la servitude, c’est la liberté.

Devant ce constat d’échec, quelles autres mesures peut-on imaginer qui seraient plus efficaces ? Inspirons-nous du domaine où l’idéologie libérale a eu le plus de succès, parce que ses avantages sont les plus immédiatement mesurables : le domaine économique. L’économie en soi n’est pas le champ d’application le plus important des idées libérales, car la politique économique n’est pas plus importante que la politique étrangère, la politique sociale ou la politique culturelle. Néanmoins, comme c’est le domaine où la doctrine libérale a été la mieux comprise, elle constitue la meilleure source d’inspiration pour qui veut résoudre une question aussi épineuse que la remise en cause de la méthode démocratique pour atteindre les objectifs libéraux.

Laissons parler le grand théoricien libéral Gustave de Molinari :

S'il est une vérité bien établie en économie politique, c'est celle-ci :


Qu'en toutes choses, pour toutes les denrées servant à pourvoir à ses besoins matériels ou immatériels, le consommateur est intéressé à ce que le travail et l'échange demeurent libres, car la liberté du travail et de l'échange a pour résultat nécessaire et permanent d'abaisser au maximum le prix des choses.


Et celle-ci:


Que l'intérêt du consommateur d'une denrée quelconque doit toujours prévaloir sur l'intérêt du producteur.


Or, en suivant ces principes, on aboutit à cette conclusion rigoureuse:


Que la production de la sécurité doit, dans l'intérêt des consommateurs de cette denrée immatérielle, demeurer soumise à la loi de la libre concurrence.


D'où il résulte:


Qu'aucun gouvernement ne devrait avoir le droit d'empêcher un autre gouvernement de s'établir concurremment avec lui, ou obliger les consommateurs de sécurité de s'adresser exclusivement à lui pour cette denrée.



De cette analyse claire et compréhensible par tous, je déduis que les quatre politiques libérales classiques énumérées ci-dessus qui ont démontré leur incapacité patente à réaliser les idéaux libéraux de défense des droits naturels des hommes contre les abus de l’état doivent être remplacées par trois autres mesures plus vigoureuses et exemptes de failles théoriques structurelles :

  1. Droit d’ignorer l’état
  2. Droit de concurrencer l’état
  3. Droit de sécession illimité

Ces droits mettront en concurrence les fournisseurs de services de protection du droit de propriété opérant sur un même territoire, ce qui limitera leur capacité à violer les droits naturels des hommes qu’ils sont censés servir.

Voilà où nous en sommes. Il me semble que, dit comme ça, on peut difficilement contester que les méthodes de Molinari sont le meilleur moyen de mettre en œuvre les idéaux des révolutions françaises et américaine qui ont été trahis au fil du temps par la faillite des recommandations politiques libérales classiques.

De là à pouvoir renverser la vapeur avant qu’il ne soit trop tard, c’est une autre paire de manches.

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