Au-delà du droit de vote

Depuis la nuit des temps le problème central de la politique a toujours été: comment protéger le peuple des abus de pouvoir de ceux qui commandent la machine étatique?

La démocratie, qui s'est propagée à travers le monde occidental de 1789 à 1918, est une tentative de résoudre ce problème en organisant à intervalles réguliers des élections où la majorité des votants peut choisir un parti parmi plusieurs pour lui confier temporairement les rênes de l'état. L'augmentation explosive du pouvoir de l'état sur ses citoyens depuis le début du XXème siècle, avec entre autres l'introduction de l'impôt sur le revenu, la croissance sans fin des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires, la généralisation de l'interdiction du port d'armes, l'interdiction de consommer certaines substances et finalement les lois liberticides qui ont mis tous nos comportements sous haute surveillance dans la foulée du 11 septembre, indique que cette solution n'était peut-être pas suffisante. L'heure est donc venue à nouveau de renforcer le pouvoir du peuple vis-à-vis de celui de l'état, ce qui est conforme à l'esprit de la démocratie définie comme le "gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple", mais non à sa pratique actuelle.

Il est temps de penser de manière plus hardie et d'introduire de nouvelles propositions dans le débat politique qui, bien qu'elles puissent sembler révolutionaires aujourd'hui, un jour seront peut-être aussi communément admises que l'idée d'organiser des élections libres pour désigner les chefs d'état ou de gouvernement. Quels droits sont plus efficaces pour le contrôle du gouvernement par le peuple que le droit de vote? Il y en a exactement deux.

Commençons par remarquer que la mission du gouvernement est de fournir certains services à ses administrés. Sinon ça ne servirait à rien d'avoir un gouvernement... Les problèmes surgissent uniquement quand un administré n'est pas satisfait de certains de ces services.

Le premier droit est pour chaque administré de se désabonner des services fournis par le gouvernement qui ne le satisfont pas. L'état ne doit pas pouvoir forcer une personne à se procurer tel ou tel service exclusivement auprès de lui. Si quelqu'un veut ignorer tout ou partie du bouquet de services fournis par l'état, c'est son droit le plus strict. Au nom de quoi l'état obligerait-il tout le monde à utiliser tous les services qu'il propose? Ce serait la porte ouverte aux pires abus. Ce serait à l'avantage personnel des agents de l'état, surtout ceux tout en haut de la hiérarchie, mais non celui des citoyens. Il faut donc garantir le droit de toute personne de se passer de certains services proposés par l'état. Ceci implique, bien sûr, le droit de ne pas payer le prix pour les services ainsi refusés. Il est inique de forcer quelqu'un à payer des impôts pour des services auxquels il a décidé de ne pas souscrire.

Notons bien que tous les services fournis par l'état sont concernés par ce droit, sans aucune exception. Cela inclut par exemple les services de police: si on ne veut pas être protégé par le commissariat du quartier, on n'a pas besoin de payer les impôts qui financent le budget de la police. Les implications de ce droit sont profondes et révolutionnaires, mais c'est seulement à ce prix que le peuple rependra le contrôle de la machine étatique qui s'est emballée en dépit du rituel des élections.

Le deuxième droit est complémentaire du premier: c'est le droit de proposer aux citoyens des services en concurrence avec ceux proposés par l'état. En effet, si on veut donner aux gens le droit de refuser certains services proposés par l'état, il faut bien qu'ils puissent se fournir ailleurs. Ceci implique que l'état n'a pas le droit de s'arroger le monopole de quoi que ce soit, et n'a pas le droit de recourir à la force pour éliminer ses concurrents potentiels. Sinon, bien sûr, ce serait la porte ouverte à tous les abus. Avec une clientèle captive, l'état serait libre d'augmenter le prix de ses services et d'en réduire la qualité et la quantité autant qu'il veut. Là encore, on voit pourquoi ce serait à l'avantage de l'état, mais pas celui du peuple. Or d'où l'état tire-t-il sa légitimité sinon du peuple? Ne déclame-t-il pas à tout bout de champ être au service du peuple? Il serait temps d'exiger qu'il le soit vraiment.

Si quelqu'un veut monter une compagnie de sécurité pour protéger les gens qui ont choisi de se désabonner des services de police fournis par l'état, c'est son droit le plus strict. Il faudra, bien sûr, qu'il arme ses employés de pistolets et de fusils pour pouvoir remplir sa mission, et l'état n'a pas le droit de l'en empêcher car ce serait porter atteinte au droit de compétition.

Voilà les deux droits fondamentaux qui, plus efficacement que le droit de vote, rééquilibreront de manière décisive le pouvoir de l'état vers le peuple: le droit d'ignorer l'état et le droit de concurrencer l'état. Nul ne peut douter que la reconnaissance généralisée de ces deux droits, concernant toutes les prestations fournies par l'état sans exception aucune, constituera un magnifique progrès qui bénéficiera à l'humanité toute entière, comme le droit de vote en son temps.

Il est grand temps de s'organiser pour réclamer ces droits et les reprendre aux agents du gouvernement qui, eux, motivés par leur petit intérêt égoïste, les contesteront.

A l'origine ces deux droits sont des droits individuels. Néanmoins ils peuvent aussi être exercés collectivement si la structure de décision communautaire s'y prête. Par exemple aux Etats-Unis l'état du Vermont, foncièrement pacifiste, pourrait très bien refuser la requête du gouvernement fédéral de financer la guerre en Irak, au nom du droit d'ignorer l'état. En France le département de la Vendée, profondément chrétien, pourrait très bien décider d'ignorer la loi Veil légalisant l'avortement. D'ailleurs c'est ce qu'a fait la Polynésie Française pendant une trentaine d'années. On voit mal pourquoi la Vendée aurait moins de droits que Tahiti.

Le droit d'ignorer l'état et le droit de concurrencer l'état, pris ensemble et appliqués au niveau collectif, donnent un droit de sécession illimité à toute collectivité territoriale. Si une région veut ignorer Paris et fournir tous les services de gouvernement à sa population, c'est son droit le plus strict. Elle acquiert ainsi son indépendance. Si un département ou une commune veut faire sécession, c'est exactement pareil. C'est une autre illustration de l'ampleur des changements que ces deux droits entraîneront dans l'organisation sociale.

L'effet le plus net de cette révolution sera de renforcer le consentement de chaque citoyen à l'autorité dont il dépend. En effet le consentement est d'autant plus clair que chacun a le droit de ne pas consentir et de s'arranger autrement. Donc si on reste c'est qu'on consent vraiment, pas avec un revolver sur la tempe comme maintenant. On choisira de rester dans une structure collective si et seulement si les bénéfices attendus valent le coup par rapport aux contraintes que ça implique, règlements et impôts compris. Cette révolution renforcera le consentement des citoyens à l'autorité exactement comme l'instauration du droit de vote l'avait fait lors de l'abolition de la monarchie de droit divin, ce qui sera une très bonne chose pour tout le monde, même les agents de l'état.

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