Déclinisme

Je voudrais remercier Nicolas de son excellent commentaire sur l'article où je vois un risque de faillite et de guerre civile dans le futur de la France. Il a stimulé ma réflexion, donc j'ai décidé de lui répondre par le présent article plutôt que par un commentaire lapidaire. Ignorant le nom de famille de cet internaute, je lui répondrai aussi sérieusement que si c'était Baverez ou Sarkozy.

Nicolas, notre divergence de vue n'est pas à l'échelle d'un ou même deux quinquennats, et ne concerne pas les possibilités de réforme ouvertes par l'élection de Nicolas Sarkozy. Nous sommes tous deux d'accord que l'état français n'est pas à sa place et qu'il est possible de l'y remettre comme cela a été fait au Royaume-Uni sous les gouvernements de droite de Margaret Thatcher puis John Major. Nous avons une bonne chance de faire revenir la France dans la moyenne européenne, ce qui arrêterait l'exil des jeunes Français qui veulent réussir vers Londres, et celui des vieux Français qui ont réussi vers Bruxelles. Ces réformes ne sont pas gagnées d'avance car les forces sclérosantes sont puissantes et bien organisées, et nul ne sait si le président Sarkozy aura suffisamment de volonté, de talent... et de chance (car il en faut!) pour les vaincre. Mais pour une fois je suis prêt à être optimiste, donc supposons que tout se passe comme nous le désirons tous deux.

Nicolas, notre divergence de vue porte sur ce qui se passera après. Vous, vous prédisez le début d'un cercle vertueux qui petit à petit tendra à éliminer tous les collectivismes forcés. Moi, je prédis un retour de balancier vers l’étatisme, et un retour à la tendance naturelle de l'interventionnisme, qui est d'étendre son champ d'action. Vous y voyez un espoir de résoudre les crises profondes engendrées par l'extension de l'état, j'y vois juste un moyen de retarder l'inévitable.

Pour bien recadrer les choses, le désaccord porte sur ce qui se passera dans 10 ans dans le cas hypothétique où le président Sarkozy tient ses promesses. C'est donc un débat assez philosophique... A moins d'avoir une boule de cristal, comment avoir une certitude? C'est aussi un débat assez éloigné des réalités présentes qui mettent la France en ébullition. On s'abstrait de la situation politique actuelle pour se projeter dans le futur conditionnel. Exercice périlleux s'il en est! Il faut une théorie de l'état, une théorie de l'histoire et une théorie de la démocratie pour raisonner à cet horizon-là. Il n'est même pas évident que ça soit bien utile ou urgent de trancher (en supposant que ça soit possible), puisqu'il y a des batailles immédiates à livrer pendant ce quinquennat.

Néanmoins je trouve ça intéressant, et je pense qu'un peu de réflexion fondamentale de temps en temps ne fait de mal à personne. Surtout quand ça touche à l'essence même de notre vision du monde.

Mes arguments sont:

  • Ce retour du balancier vers l'étatisme est exactement ce qui s'est passé au Royaume-Uni depuis que la gauche est revenue au pouvoir.
  • Tous les contre-pouvoirs autres que le chef de l'état (ou de gouvernement) sont structurellement biaisés en faveur de l'extension du rôle de l'état: journalistes, artistes, professeurs, fonctionnaires, assistés, partis politiques, syndicats, associations. Donc quand, par exceptionnel, la population excédée porte finalement au pouvoir un réformateur, il ne peut mettre en œuvre que des réformes à la marge qui remettent les contribuables au boulot, mais sans démolir les usines à gaz de l'étatisme. Par contre quand le chef de l'exécutif est un étatiste, ce qui est le plus fréquent, il a les mains libres pour augmenter l'interventionnisme tous azimuts.
  • En démocratie, le pouvoir politique n'a aucune incitation à résoudre les problèmes bien prévisibles qui balaieront le pays dans 20 ans. Pour peu que ces problèmes aient une grande force d'inertie, quand ces problèmes entreront dans le champ de vision des hommes politiques (mettons 5 ans avant la crise), il sera trop tard pour les résoudre. En Europe, je pense particulièrement aux problèmes de dette et de démographie. Aux Etats-Unis, il y a aussi le problème spécifique de leur armée qui est déployée partout dans le monde à grands frais pour supporter leur politique impérialiste.
  • L'histoire des démocraties occidentales depuis les années 1870 est celle de l'augmentation massive du pouvoir de l'état sur les individus, et il n'y a aucune raison que ce mouvement s'inverse de son propre chef autrement que de manière locale et temporaire.

Dans le cas de la France, ce que j'appelle "démolir les usines à gaz de l'étatisme", ce serait:
  1. ramener la part des dépenses publiques dans le P.I.B. du niveau actuel de 54% au niveau coréen qui est de 27%,
  2. confirmer la fin du monopole de la sécurité sociale inscrite dans les directives européennes,
  3. transformer le système de retraite par répartition en système par capitalisation comme au Chili,
  4. et mettre en place une politique d'immigration aussi stricte que celle de la Suisse.

Nous devrions être d'accord que ces quatre mesures seraient suffisantes pour désamorcer les deux bombes à mèche lente (endettement public et démographie) qui vont nous sauter à la figure dans à peu près vingt ans. Nous devrions être aussi d'accord que ces mesures ne sont pas politiquement réalisables par le président Sarkozy pendant ce quinquennat.

La question cruciale est: si le président Sarkozy réussit par ses réformes limitées à remettre les contribuables au boulot, cela créera-t-il un cercle vertueux qui aboutira à ces réformes? Nicolas, vous dites oui, et moi je dis non. A mon sens, l'effet net d'un quinquennat Sarkozy réussi sera principalement de réduire la pression réformatrice, de dégager des marges de manœuvre permettant de reprendre l'expansion de l'état, et d'éloigner la perception du danger.

Pour penser qu'il puisse en être autrement, il faudrait n'avoir pas intégré les leçons de la théorie des choix publics qui a valu à son fondateur James Buchanan le prix Nobel d'économie en 1986. Elle a démontré sans équivoque que l'être humain a le même comportement qu'il soit employé dans le secteur privé ou dans l'appareil d'état: dans un cas comme dans l'autre, il cherche à maximiser son avantage personnel. En particulier, l'idée selon laquelle les hommes d'état œuvrent pour l'intérêt général plutôt que pour leur intérêt personnel bien compris n'est qu'un mythe qu'ils propagent eux-mêmes.

D'où le retour de balancier que je prédis après, au moment précis où il faudrait poursuivre dans la voie de la réduction des interventionnismes pour enfin démolir les vraies usines à gaz. C'est pour cela que, même si le 6 mai m'a donné envie d'être relativement optimiste à court terme, je suis quand même décliniste à moyen terme pour la France et plus généralement pour l'ensemble des démocraties occidentales.

Quant au scénario particulier de la faillite, d'autres jouent de la boule de cristal mieux que moi, citons par exemple Philippe Jaffré et Philippe Riès dans leur livre Le jour où la France a fait faillite. Pour le scénario de la guerre civile, il y a un article en deux parties qui ne transpire pas la tolérance, c'est le moins qu'on puisse dire, mais qui est néanmoins bien argumenté. Pour la faillite et la guerre civile, il y a cet article écrit par quelqu'un qui a beaucoup lutté contre le monopole de la sécurité sociale.

Bien sûr ces scénarios-catastrophes présupposent que les dirigeants politiques seront incapables d'un sursaut avant que le point de non-retour ne soit atteint, et c'est plutôt à ce niveau-là que j'ai essayé de situer notre débat. Parler ainsi peut sembler paradoxal, au moment précis où 85% des inscrits ont donné un mandat clair de réforme à un homme de droite particulièrement énergique, mais je n'ai jamais craint de ne pas être à la mode.

Le thème de la faillite et celui de la guerre civile se rejoignent autour du dernier espoir auquel s'accrochent les élites au pouvoir: "les immigrés paieront nos retraites". Cette théorie a été définitivement discréditée par Martin Feldstein, professeur d'économie à Harvard. Ceci est pour moi le dernier clou dans le cercueil de la démocratie sociale en Europe, mais il faudra encore 20 ans pour que l'homme de la rue s'en rende compte.

D'ailleurs je vois dans la progression fulgurante des assauts contre des libertés individuelles qu'on croyait acquises depuis plusieurs siècles: caméras de surveillance, fichiers informatiques, lois contre la liberté d'expression, criminalisation des opinions dites "de discrimination", aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs en Europe, la preuve que les élites sentent bien que la situation risque de s'envenimer et qu'elles ont intérêt à renforcer leur arsenal répressif en prévision de la lutte à mort qu'elles auront à mener contre leurs propres contribuables.

Au début, j'étais un décliniste au premier degré, c'est-à-dire que je pensais que la France avait juste besoin d'une cure de thatchérisme. Puis je me suis demandé comment une démocratie avait réussi à créer tant d'étatisme, alors que c'est si clairement nuisible au pays. J'ai alors découvert une théorie de l'état selon laquelle l'interventionnisme partiel génère toujours plus d'interventionnisme, et une théorie de la démocratie selon laquelle ce régime sacrifie le producteur pour le non-producteur et le long terme pour le court terme. J'ai trouvé que c'était intellectuellement solide et que ça expliquait bien le monde tel que je le connaissais. Je suis alors devenu décliniste au second degré, c'est-à-dire que je pense que la démocratie sociale est destinée à disparaître à moyen terme aussi sûrement que l'était le communisme. Ce blog en général, et cet article en particulier, est simplement un effort pour traduire en termes concrets et actuels ces théories.

Pour moi, la solution ne peut passer que par un retour aux idéaux de la philosophie des Lumières, qui a découvert que chaque individu possède trois droits naturels antérieurs à toute loi politique: la vie, la liberté et la propriété. A mon avis, la république une et indivisible où les dirigeants politiques sont désignés à la majorité par le suffrage universel est une bien piètre traduction de ces idéaux. Le consentement à l'état, l'unanimité dans les décisions collectives, qui découlent pourtant des droits naturels, sont absents de la pratique démocratique actuelle. Concrètement, pour mettre en œuvre les idéaux de la philosophie des Lumières, il faudrait reconnaître à chacun le droit d'ignorer l'état ainsi que le droit de concurrencer l'état. En effet cela garantirait que l'état ne puisse pas violer les droits naturels des individus, car ceux qui ne sont pas satisfaits pourraient toujours ignorer l'état et s'organiser autrement. Ceci impliquerait en particulier un droit de sécession illimité. Il me semble que, si nous préparons le terrain intellectuel dès aujourd'hui, c'est le genre de régime qui pourra naître de la crise des années 2030, car tous les autres auront été essayés et discrédités. Ambitieux, je sais. Alors joignez-vous à nous, on ne sera pas de trop pour faire triompher la cause de la liberté.

A suivre...

Au-delà du droit de vote

Depuis la nuit des temps le problème central de la politique a toujours été: comment protéger le peuple des abus de pouvoir de ceux qui commandent la machine étatique?

La démocratie, qui s'est propagée à travers le monde occidental de 1789 à 1918, est une tentative de résoudre ce problème en organisant à intervalles réguliers des élections où la majorité des votants peut choisir un parti parmi plusieurs pour lui confier temporairement les rênes de l'état. L'augmentation explosive du pouvoir de l'état sur ses citoyens depuis le début du XXème siècle, avec entre autres l'introduction de l'impôt sur le revenu, la croissance sans fin des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires, la généralisation de l'interdiction du port d'armes, l'interdiction de consommer certaines substances et finalement les lois liberticides qui ont mis tous nos comportements sous haute surveillance dans la foulée du 11 septembre, indique que cette solution n'était peut-être pas suffisante. L'heure est donc venue à nouveau de renforcer le pouvoir du peuple vis-à-vis de celui de l'état, ce qui est conforme à l'esprit de la démocratie définie comme le "gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple", mais non à sa pratique actuelle.

Il est temps de penser de manière plus hardie et d'introduire de nouvelles propositions dans le débat politique qui, bien qu'elles puissent sembler révolutionaires aujourd'hui, un jour seront peut-être aussi communément admises que l'idée d'organiser des élections libres pour désigner les chefs d'état ou de gouvernement. Quels droits sont plus efficaces pour le contrôle du gouvernement par le peuple que le droit de vote? Il y en a exactement deux.

Commençons par remarquer que la mission du gouvernement est de fournir certains services à ses administrés. Sinon ça ne servirait à rien d'avoir un gouvernement... Les problèmes surgissent uniquement quand un administré n'est pas satisfait de certains de ces services.

Le premier droit est pour chaque administré de se désabonner des services fournis par le gouvernement qui ne le satisfont pas. L'état ne doit pas pouvoir forcer une personne à se procurer tel ou tel service exclusivement auprès de lui. Si quelqu'un veut ignorer tout ou partie du bouquet de services fournis par l'état, c'est son droit le plus strict. Au nom de quoi l'état obligerait-il tout le monde à utiliser tous les services qu'il propose? Ce serait la porte ouverte aux pires abus. Ce serait à l'avantage personnel des agents de l'état, surtout ceux tout en haut de la hiérarchie, mais non celui des citoyens. Il faut donc garantir le droit de toute personne de se passer de certains services proposés par l'état. Ceci implique, bien sûr, le droit de ne pas payer le prix pour les services ainsi refusés. Il est inique de forcer quelqu'un à payer des impôts pour des services auxquels il a décidé de ne pas souscrire.

Notons bien que tous les services fournis par l'état sont concernés par ce droit, sans aucune exception. Cela inclut par exemple les services de police: si on ne veut pas être protégé par le commissariat du quartier, on n'a pas besoin de payer les impôts qui financent le budget de la police. Les implications de ce droit sont profondes et révolutionnaires, mais c'est seulement à ce prix que le peuple rependra le contrôle de la machine étatique qui s'est emballée en dépit du rituel des élections.

Le deuxième droit est complémentaire du premier: c'est le droit de proposer aux citoyens des services en concurrence avec ceux proposés par l'état. En effet, si on veut donner aux gens le droit de refuser certains services proposés par l'état, il faut bien qu'ils puissent se fournir ailleurs. Ceci implique que l'état n'a pas le droit de s'arroger le monopole de quoi que ce soit, et n'a pas le droit de recourir à la force pour éliminer ses concurrents potentiels. Sinon, bien sûr, ce serait la porte ouverte à tous les abus. Avec une clientèle captive, l'état serait libre d'augmenter le prix de ses services et d'en réduire la qualité et la quantité autant qu'il veut. Là encore, on voit pourquoi ce serait à l'avantage de l'état, mais pas celui du peuple. Or d'où l'état tire-t-il sa légitimité sinon du peuple? Ne déclame-t-il pas à tout bout de champ être au service du peuple? Il serait temps d'exiger qu'il le soit vraiment.

Si quelqu'un veut monter une compagnie de sécurité pour protéger les gens qui ont choisi de se désabonner des services de police fournis par l'état, c'est son droit le plus strict. Il faudra, bien sûr, qu'il arme ses employés de pistolets et de fusils pour pouvoir remplir sa mission, et l'état n'a pas le droit de l'en empêcher car ce serait porter atteinte au droit de compétition.

Voilà les deux droits fondamentaux qui, plus efficacement que le droit de vote, rééquilibreront de manière décisive le pouvoir de l'état vers le peuple: le droit d'ignorer l'état et le droit de concurrencer l'état. Nul ne peut douter que la reconnaissance généralisée de ces deux droits, concernant toutes les prestations fournies par l'état sans exception aucune, constituera un magnifique progrès qui bénéficiera à l'humanité toute entière, comme le droit de vote en son temps.

Il est grand temps de s'organiser pour réclamer ces droits et les reprendre aux agents du gouvernement qui, eux, motivés par leur petit intérêt égoïste, les contesteront.

A l'origine ces deux droits sont des droits individuels. Néanmoins ils peuvent aussi être exercés collectivement si la structure de décision communautaire s'y prête. Par exemple aux Etats-Unis l'état du Vermont, foncièrement pacifiste, pourrait très bien refuser la requête du gouvernement fédéral de financer la guerre en Irak, au nom du droit d'ignorer l'état. En France le département de la Vendée, profondément chrétien, pourrait très bien décider d'ignorer la loi Veil légalisant l'avortement. D'ailleurs c'est ce qu'a fait la Polynésie Française pendant une trentaine d'années. On voit mal pourquoi la Vendée aurait moins de droits que Tahiti.

Le droit d'ignorer l'état et le droit de concurrencer l'état, pris ensemble et appliqués au niveau collectif, donnent un droit de sécession illimité à toute collectivité territoriale. Si une région veut ignorer Paris et fournir tous les services de gouvernement à sa population, c'est son droit le plus strict. Elle acquiert ainsi son indépendance. Si un département ou une commune veut faire sécession, c'est exactement pareil. C'est une autre illustration de l'ampleur des changements que ces deux droits entraîneront dans l'organisation sociale.

L'effet le plus net de cette révolution sera de renforcer le consentement de chaque citoyen à l'autorité dont il dépend. En effet le consentement est d'autant plus clair que chacun a le droit de ne pas consentir et de s'arranger autrement. Donc si on reste c'est qu'on consent vraiment, pas avec un revolver sur la tempe comme maintenant. On choisira de rester dans une structure collective si et seulement si les bénéfices attendus valent le coup par rapport aux contraintes que ça implique, règlements et impôts compris. Cette révolution renforcera le consentement des citoyens à l'autorité exactement comme l'instauration du droit de vote l'avait fait lors de l'abolition de la monarchie de droit divin, ce qui sera une très bonne chose pour tout le monde, même les agents de l'état.

A suivre...

L'impôt, c'est du vol

Depuis que j'ai commencé d'étudier certaines questions de philosophie, de politique et d'économie, j'ai acquis la conviction que l'impôt, c'est du vol. Révolutionnaire? Absolument, puisque cette formule a été déclamée par un député français à la tribune de l'Assemblée en 1789.

La définition du vol, selon les dictionnaires, c'est de s'emparer de ce qui appartient à autrui sans son consentement, en le menaçant de violences physiques s'il resiste. Le percepteur ponctionne l'argent que j'ai gagné sans me demander ma permission et, si je refuse d'acquitter l'impôt, les gendarmes me jetteront en prison. Donc ceci constitue bel et bien du vol.

Les âmes bien-pensantes choquées par cette affirmation produisent des contre-arguments qu'on peut classer en un petit nombre de catégories, et que je vais réfuter en commençant par celle-ci.

Tu dis ça parce que, égoïstement, tu veux payer moins d'impôts.

Mes circonstances personnelles n'ont rien à voir avec la vérité ou la fausseté de mon propos. Attaquer l'homme parce qu'on ne sait pas réfuter ses arguments est un sophisme ad hominem, on le sait bien depuis le livre La rhétorique écrit par Aristote en 350 av. J.-C.

Ce type de sophisme, complètement dénué de valeur logique, a été employé à grande échelle par Karl Marx dans son Manifeste du Parti Communiste de 1848. Se sachant parfaitement incapable de contredire sur le plan scientifique les économistes libéraux de son époque qui avaient prouvé que le communisme ne marcherait pas, Marx les traita d'économistes "bourgeois" suppôts du capitalisme. Bien sûr cela n'enlevait rien au fait que ces économistes libéraux avaient raison et que Marx avait tort, comme l'effondrement de l'Union Soviétique l'a montré aux derniers sceptiques en 1989.

Céder au sophisme ad hominem, c'est avouer qu'on est incapable d'évaluer par soi même le caractère vrai ou faux d'une proposition. Dans le cas d'une proposition aussi concise, et exprimée par des mots aussi simples, que "l'impôt, c'est du vol", c'est grave. Il est vrai que l'éducation nationale (financée par l'argent volé) et la soi-disant culture moderne ont émoussé l'esprit critique des gens, et les ont privés des outils intellectuels nécessaires pour pouvoir réfléchir aux questions fondamentales qui les touchent de plus près autrement qu'en annonnant des clichés. Je dis ça en général, il y a au moins une exception.

Si on acceptait le sophisme ad hominem, alors il faudrait rire au nez de tous les politiciens qui veulent "faire du social", puisque bien évidemment ce "social" va être administré par eux-mêmes, ce qui leur assurera voiture et appartement de fonction, le droit de puiser dans un gros budget, et le pouvoir de récompenser leurs fidèles lieutenants par de bons postes.

Le sophisme ad hominem porte en lui le conflit: le politicien veut créer des impôts (c'est "sa" vérité puisqu'il en bénéficie) et le contribuable veut les abolir (c'est "sa" vérité puisqu'il en pâtit). Si on ne veut pas affirmer qu'un point de vue est supérieur à l'autre, comme ils sont mutuellement incompatibles, c'est la loi du plus fort qui prévaudra. Autant nier que le vrai est différent du faux, que le bien est différent du mal, et que l'homme peut distinguer l'un de l'autre par l'exercice de sa raison. Autant arrêter de discuter tout de suite et redevenir ce que nous étions: des bêtes sauvages.

Finalement, quand bien même mes actions seraient égoïstes, cela n'implique en rien qu'elles nuisent aux autres hommes. Cette manière de penser n'est correcte que dans un jeu à somme nulle où A arrache quelque chose à B par la force, donc la situation de A s'améliore à mesure que celle de B empire. Or la vie, ça n'est pas comme ça. Il n'y a que les voleurs qui pensent comme ça.

Dans un monde où le vol est puni, les seuls échanges qui ont lieu sont ceux qui sont volontaires, ce qui prouve bien qu'ils bénéficient aux deux parties, car sinon l'une des deux retirerait son consentement. A partir de cette simple observation, Adam Smith a prouvé que même quelqu'un qui poursuit un but égoïste dans une économie de marché, en fait, agit d'une manière qui bénéficie à tous les autres membres de la société. Quand Thomas Edison a inventé l'ampoule électrique pour faire fortune, l'humanité est sortie des ténèbres. Dans une société de libre échange, la taille de la fortune qu'on amasse est même proportionnelle à l'ampleur des services qu'on a rendus aux autres. En effet les gens ne consentent à devenir vos clients que si les services que vous leur rendez ont plus de valeur pour eux que la quantité d'argent que vous demandez en paiement.

Par contre ceux qui disent être généreux, qui disent vouloir améliorer le sort des autres, ne créent que chaos et malheur car, endormant la vigilance des populations par leurs discours pseudo-moralisateurs, ils interviennent, forcent, redistribuent. Ce sont souvent des politiciens. C'est facile d'être généreux avec l'argent des autres. A chaque fois qu'ils empêchent une personne de jouir comme bon lui semble de sa propriété, qu'ils empêchent deux personnes de procéder à un échange mutuellement profitable, ou au contraire les forcent à procéder à un échange qui n'aurait pas eu lieu spontanément, ils tuent la liberté, rabaissent l 'homme au rang d'esclave et sèment les graines de la discorde. Ce sont eux les vrais ennemis de l 'humanité, alors de grâce qu'on ne reproche à personne d'être égoïste.

C'est la volonté de la majorité

Avant Galilée, la majorité pensait que le soleil tournait autour de la terre, et ça n'était pas vrai pour autant. Quand Ponce-Pilate demanda à la population de Jérusalem de choisir entre gracier Jésus-Christ ou le meurtrier notoire Barrabas, la majorité choisit de gracier Barrabas. Ça ne veut pas dire que c'était juste pour autant.

Mettons que je me fasse accoster par deux loubards qui, sous la menace d'un couteau, me demandent mon portefeuille. Si, avant de s'en emparer, ils organisent un vote où eux deux votent pour me dévaliser et je vote contre, ce souci procédural ne rend pas leur acte moins répréhensible. Si la majorité des Français un jour vote pour exterminer tous les rouquins, ça ne justifiera pas le massacre pour autant. Si 51 % des Français votent pour voler leur argent à 1 % de la population, c'est toujours du vol.

Mon voisin n'a pas le droit de venir chez moi prendre mon argent par la force. Il n'a pas non plus le droit de me prendre comme son esclave du 1er janvier au 15 juillet de chaque année, même s'il me libère du 16 juillet (jour de la libération fiscale) au 31 décembre. Si au lieu d'un voisin il y en a deux qui essaient de faire ça, leur nombre supérieur ne rend pas leur agression plus légitime. Qu'il y en ait dix, cent ou 20 millions, c'est exactement pareil. Les droits d'un groupe sont la somme des droits individuels possédés par ses membres. Donc aucun groupe ne peut se prévaloir de droits qu'aucun de ses membres, pris individuellement, ne possède. C'est pourquoi la majorité des électeurs Français n'a pas plus le droit que mon voisin de me voler mon argent ou de me réduire en esclavage.

Que les décideurs politiques soient élus démocratiquement ou non compte bien moins que les principes auxquels ils adhèrent. Par exemple Louis XVI, qui ne fut pas élu démocratiquement, considérait qu'il était obligé de conserver le droit naturel de ses sujets à la propriété. Alors que la structure actuelle de l'impôt sur la fortune peut forcer un Français ayant peu de revenus à vendre son domaine afin d'acquitter cet impôt. On pense à l'île de Ré. Le fait que ceci constitue une violation du droit de propriété est indéniable, et a été reconnu comme tel par la Cour Suprême allemande, qui en a profité pour supprimer l'impôt sur la fortune. Malheureusement les dirigeants démocratiquement élus par le peuple Français ne se considèrent pas, eux, obligés de conserver le droit naturel de leurs administrés à la propriété.

Enfin il faut se demander: quelle majorité? J'ai une dizaine d'amis qui pensent comme moi que l'impôt, c'est du vol. Si nous votons à onze sur la suppression de tous les impôts, l'unanimité se fera pour. Pourquoi est-ce que le vote de 44 millions de Français aurait un statut plus spécial que celui de mes dix amis, ou celui de 200 millions d'Européens? Or les Européens dans leur majorité sont favorables à une pression fiscale plus basse que celle qu'on subit en France actuellement, puisque la France se situe nettement au-dessus de la moyenne Européenne. Y a-t-il quelque chose de magique dans les frontières actuelles de la France qui fait que la volonté la majorité de ceux qui y sont nés doit toujours être appliquée, mais la volonté de la majorité d'un ensemble de population plus petit ou plus large n'a aucune importance? Rappelons-nous comment ces frontières ont été tracées et fixées: par les épées, les fusils et le meurtre à grande échelle. Cette histoire sanglante n'est pas de nature à leur conférer un degré de légitimité morale particulièrement haut, puisqu'elles ne sont en définitive que l'expression de la loi du plus fort.

A suivre...

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