Logique Qualitative

Augmentation des statistiques de la violence et du sentiment d'insécurité, montée en popularité des extrêmes, non au référendum sur la constitution européenne, Jean-Marie Le Pen invité surprise du deuxième tour des présidentielles en 2002, montée des communautarismes, renversement de la majorité à chaque élection legislative, fréquentes périodes de cohabitation, succès d'audience des déclinologues, 751 zones de non-droit où la police ne s'aventure plus, les Français qui s'expatrient en masse: autant de symptômes de l'affaiblissement du lien social en France. Les Français ne font plus confiance à leurs concitoyens. Chacun est persuadé de faire plus de sacrifices que son voisin.

La preuve c'est que les intellectuels, les journalistes, les écrivains, les médias, les artistes, les hommes politiques rivalisent d'habileté rhétorique pour essayer de renforcer ce lien social. Ils sont en quelque sorte l'émanation de la société française, le reflet qu'elle se renvoie à elle-même, et c'est pour cela qu'ils veulent la sauver, qu'ils la portent à bouts de bras et lui font du bouche-à-bouche. Seulement le consentement au pacte social ne se décrète pas, il relève exclusivement de la volonté individuelle des citoyens, et ces derniers commencent à avoir des doutes. Sérieusement des doutes.

Ce n'est pas le rejet de tout pacte social, juste de celui-ci. En effet, les Français qui recommencent leur vie à l'étranger sont tout heureux de renouer un pacte social, mais avec les habitants de leur pays d'accueil, pas avec les autres Français. Dans les 751 zones de non-droit il n'y a pas absence de loi, mais établissement une autre loi que celle de la République, que ce soit celle des grands frères, des prédicateurs religieux ou des trafiquants de drogue.

Ce n'est pas non plus le rejet du gouvernement en place, puisqu'alors la solution serait toute simple: changer de gouvernement. En démocratie rien de plus facile, c'est la valse. Nous l'avons fait, ça n'a pas marché, nous ne sommes pas plus avancés. A chaque période, comme les élections sont honnêtes et reflètent scrupuleusement la volonté exprimée par les votants, la majorité des électeurs s'est donné le gouvernement qu'elle pensait le mieux à même de résoudre ses problèmes. Et pourtant il ne les a pas résolus.

Il ne reste donc plus qu'une seule explication possible: c'est que les habitants du territoire français veulent bien signer un contrat social, mais pas avec l'ensemble des autres habitants. Par exemple, ceux qui sont prêts à partir à l'étranger signalent leur désir de signer un contrat social avec les habitants d'un autre pays. Ceux qui vivent dans une zone de non-droit signent effectivement un contrat social avec les habitants de cette zone, mais pas au-delà. Ceux qui votent contre un parti extrémiste veulent bien signer un contrat social avec tout le monde sauf les électeurs de ce parti. Les antilibéraux veulent signer un contrat social avec tout le monde sauf les libéraux, etc.

Il est temps de cesser de mesurer la grandeur d'une aventure collective au nombre de gens embringués dedans de gré ou de force, et de commencer de la mesurer à l'intensité de l'implication des participants. Passer d'une logique quantitative à une logique qualitative. Quel leader sera assez courageux pour déclencher cette révolution-là?

A suivre...

Choisir ses cosignataires

Mon diagnostic des maux qui affligent la France, et les autres grandes démocraties développées, est qu'il existe un déficit de consentement au contrat social. Il faut donc réaffirmer ce consentement.

A l'échelle de la planète il y existe 193 pays, donc cela fait 193 contrats sociaux. Sur le territoire français, à l'heure actuelle, il n'en existe qu'un seul. Tous ceux qui habitent sur le territoire français sont censés être cosignataires d'un seul et même contrat social. S'il existe défaut de consentement, c'est que les habitants se sentent forcés de cosigner avec tous les autres habitants, et qu'ils n'ont pas le choix. Il faut donc leur donner ce choix. Il faut permettre à n'importe quel habitant du territoire français de résilier le contrat social qui le gouverne actuellement, afin d'en signer un autre avec les individus de son choix.

Notons qu'il s'agit juste de donner une liberté supplémentaire aux Français. En effet, si on leur donne le droit de nouer le lien social avec une autre liste de personnes que la liste de ceux qui résident sur le territoire français, ils peuvent très bien décider librement de ne rien changer. On ne fait que donner une option supplémentaire à chaque individu, et s'il ne l'exerce pas, cela voudra dire qu'en fait il était content de la manière dont il était gouverné. On ne retranche rien, on ne fait qu'augmenter le pouvoir de choisir des gens. Alors que dans le système actuel, comme nul n'a le choix, le consentement au contrat social entre tous les résidents du territoire français ne peut être tenu pour acquis.

Il est d'ailleurs fort probable que le niveau général de mécontentement baisse même si rien ne change. Car si chacun considère les alternatives et qu'elles lui semblent peu attrayantes, il appréciera mieux ce qu'il a que si aucune alternative n'était offerte.

Certains objecteront que ça pourrait occasionner une reconfiguration de la France millénaire. C'est bien ça le problème: cet idéal de la France unie sous l'étendard à la fleur de lys remonte au temps où un monarque absolu régnait de droit divin. Ce n'est pas exactement un idéal de liberté ni de fraternité. A cette époque, les terres changeaient de main au gré des batailles et des mariages, et les paysans qui vivaient dessus changeaient aussi de main comme du vulgaire bétail. Personne ne leur demandait leur avis. Ça ne peut plus continuer comme ça. La Révolution Française a changé beaucoup de choses, mais malheureusement pas celle-ci, et il est grand temps de parachever son œuvre.

Il y a aussi ceux qui sont inquiets car ils ne voient pas où ce processus pourrait mener, car personne ne le contrôle. Et c'est tant mieux! Le propre de la liberté est toujours d'engendrer des effets inattendus. C'est pour cela que l'histoire n'est pas écrite à l'avance et que ça vaut la peine de vivre. Si quelqu'un contrôlait ce processus, quelle tentation de détourner un tel pouvoir à des fins personnelles... De plus, comme personne n'a la science infuse, même un législateur imprégné de la sagesse des siècles est capable de faire de grosses bourdes.

D'une manière générale, l'incertitude est nécessaire à la vie. Mais attention, incertitude ne veut dire ni chaos ni désordre. A chaque instant, chaque contrat social exprimera la volonté de ses cosignataires, et ils subiront de plein fouet les conséquences de leurs décisions collectives, donc on peut gager qu'ils seront fortement incités à ne pas faire n'importe quoi.

D'ailleurs si on partait du principe que les gens sont trop bêtes pour qu'on puisse leur faire confiance, alors pourquoi leur donner le droit de vote? Quel homme politique osera expliquer à ceux qui l'ont élu qu'il les prend pour des imbéciles? Non, il faut partir du principe que les gens savent ce qui est bon pour eux, mieux qu'un membre de l'élite. L'élite peut suggérer, argumenter, cajoler, mais en dernier ressort c'est du peuple qu'émane le pouvoir politique, donc chacun est capable de faire le bon choix. Surtout quand ceux qui se sentent dépassés par les évènements peuvent faire le non-choix de ne pas changer de contrat social.

A suivre...

Cosignataires Forcés

La France est en crise. Je suis né en 1968, j'ai commencé à écouter les nouvelles à six ans, en 1974, et la France a toujours été en crise d'aussi loin que je me souvienne. Il n'y a pas qu'elle, d'ailleurs. L'Allemagne est en crise. La Belgique va se diviser. La Hollande sombre dans l'insécurité. Les pays scandinaves ne savent plus à quelle réforme se vouer. Les Etats-Unis se demandent si ça valait vraiment le coup de détruire deux pays pour venger les deux tours démolies le 11 septembre.

Revenons en France. Les déclinologues ont eu assez de succès d'audience pour provoquer des réponses cinglantes du monde politique, qui se sentait visé. Il est vrai que Jacques Chirac était Premier Ministre en 1974 et est Président de la République aujourd'hui, 37 ans plus tard. D'où une certaine continuité dans la classe politique, et une certaine solidarité avec les erreurs du passé. Même si les Français choisissent l'alternance à chaque échéance électorale, ils ont le sentiment que ça n'améliore rien.

D'où leur flirt avec les hors-système comme Jean-Marie Le Pen et José Bové. Leur principal attrait, à l'un et à l'autre, est d'avoir lutté pied à pied pendant des années contre les hommes et les femmes qui incarnaient le pouvoir. Mais s'ils n'ont pas encore été co-optés par le système, est-ce un signe d'intégrité ou d'incapacité à fédérer? Si l'un ou l'autre accédait au pouvoir, comment ne pas croire qu'il deviendrait comme ceux qu'il remplace?

Le problème c'est le système. Et le système c'est la démocratie. La démocratie est aujourd'hui une vache sacrée. La remettre en question, c'est être un tyran sanguinaire ou vouloir renvoyer l'humanité à l'âge de pierre. Vraiment? La réflexion sur les systèmes politiques est aussi ancienne que la civilisation. Platon et Aristote ont écrit des textes fameux sur ce sujet, et même avant eux le philosophe Chinois Lao Zi (Lao Tseu). A cette époque il était permis de penser, de questionner sur ce sujet. Pourquoi pas maintenant?

Plus près de nous, ceux qu'on appelle les Pères Fondateurs de la Révolution Américaine, imprégnés de la philosophie des Lumières, ont énormément réfléchi sur le sujet et, fait presque unique dans l'histoire, réussi à mettre en pratique leurs idéaux. L'histoire s'est-elle arrêtée? Pourquoi cette voie de réflexion s'est-elle terminée en cul-de-sac? Pourquoi serait-il tabou d'engager un dialogue à ce sujet? Est-ce faute d'idées nouvelles, parce que tout a été dit et écrit et nous avons résolu toutes les questions méritant discussion?

Mais alors, pourquoi ce sentiment de malaise en France et dans certaines grandes démocraties occidentales à l'orée du troisième millénaire? Je ne crois pas. Le progrès en ce domaine, comme dans tous les autres, n'a cessé de révéler des idées et des angles d'analyse nouveaux. Il est temps d'en discuter franchement.

Avec tout le monde. Ce n'est pas l'affaire des élites. Cela nous concerne tous, car c'est nous tous qui aurons à payer les pots cassés si nous nous obstinons sur la mauvaise voie.

Deux mots d'avertissement. Si je remets en cause la démocratie, ce n'est pas parce qu'elle offre trop de liberté au citoyen, mais trop peu. Je ne veux pas un retour au royalisme ou au pouvoir féodal, ni à l'esclavagisme, mais au contraire un saut vers un niveau supérieur de liberté. Un premier saut a été réalisé il y a environ 200 ans quand l'Ancien Régime s'est effondré, mais maintenant l'humanité est prête pour un second.

Si je remets en cause la démocratie, ce n'est pas parce qu'elle offre trop de lien social, mais trop peu. Je ne veux pas que l'homme retourne vivre comme un loup solitaire dans la forêt, je veux au contraire permettre l'avènement de sociétés humaines plus unies, où le consentement spontané à la solidarité est plus parfait. Je crois que c'est possible. Si ça vous intéresse, vous pouvez continuer de lire. Sinon adieu, bonne chance, et de grâce ne mettez pas les bâtons dans les roues de ceux qui essaient d'avancer.



Les pages les plus importantes de la réflexion moderne sur les systèmes de gouvernement, leurs avantages et leurs défauts, surtout les défauts invisibles de prime abord qui n'apparaissent qu'au fil du temps, ont été écrites en langue française. Le contrat social de Jean-Jacques Rousseau; puis Alexis de Tocqueville, le grand penseur de la démocratie; un auteur peu connu appelé Gustave de Molinari que je voudrais faire découvrir ici; même l'anarchiste Pierre Joseph Proudhon.

Partons de la devise de la France: liberté, égalité, fraternité.

La liberté est une aspiration profondément individualiste. Je suis absolument libre de faire ce que je veux avec mon corps et ce qui m'appartient. Comme le dit l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

L'égalité est un mot plus ambigu. Est-ce l'égalité en droit, c'est-à-dire le droit égal qu'a chacun d'être libre? Mais alors cela engendrera des inégalités de résultat, car certains choisiront délibérément de travailler plus que les autres et seront donc libres de réussir mieux que les autres. Ou est-ce l'égalité de résultat, ce qui introduit une notion sociale de comparaison entre les personnes, de solidarité... de fraternité?

Cette ambiguïté du mot égalité prouve bien qu'il existe une tension profonde entre la liberté et la fraternité. Soit on fait ce qu'on veut, soit on est redevable aux autres.

A ce stade, il serait bon de rappeler que la liberté et la fraternité sont toutes deux également nécessaires à la vie en société. La liberté fait l'essence de l'être humain: agir pour améliorer sa condition et celle de sa famille. La fraternité permet de coopérer avec d'autres pour réaliser ensemble de plus grandes choses. Il est vain de vouloir sacrifier l'une à l'autre, car les êtres civilisés ont un égal besoin des deux.



Le malaise actuel vient de ce que les gens ne se sentent pas assez libres, et qu'ils n'ont pas assez envie d'être solidaires. En fait, ils vivent la solidarité forcée comme une négation de leur liberté. La liberté et la solidarité ne sont antithétiques que si l'on a pas librement choisi d'être solidaire, avec qui et dans quelle mesure.

La fraternité, la solidarité et l'égalité de résultat s'effectuent en pratique par le truchement d'une administration centralisée, un gouvernement qui est le médiateur obligé de toutes les relations sociales. Un individu ne peut pas avoir de relations directes avec les 60 millions d'autres individus qui partagent sa destinée, donc il entre en relation avec l'état. L'état lui distribue des avantages, prélève les impôts et impose des lois au nom du reste du peuple. Ce gouvernement si souvent critiqué ne fait que représenter les autres, ceux avec qui on a choisi de lier son destin. S'il y a crise, ce n'est peut-être pas le symptôme d'une insuffisance gouvernmentale, mais bien une crise de la relation sociale. La relation aux autres est subie de mauvais gré, voire imposée de force et non consentie.

Comment cela se peut-il? Ne me dites pas que les Français aspirent à vivre comme des bêtes sauvages dans leur trou sans jamais se connecter aux autres. Ce n'est pas le principe général de la relation sociale qu'ils remettent en cause, mais la nature spécifique de la relation sociale qui leur est imposée. Comme le gouvernement n'est que l'émanation des citoyens, ça ne laisse qu'une possibilité logique: on veut bien lier son destin avec certaines personnes, mais pas celles-là. On veut avoir la liberté de choisir la liste des gens avec qui on échangera fraternité, solidarité et égalité de résultats.

Cette manière d'interpréter la condition moderne est tout-à-fait révolutionnaire, mais d'une part c'est la seule explication logique, et d'autre part une fois qu'on l'a vue de nombreux faits incompréhensibles s'expliquent.

Par exemple, à chaque fois qu'un Français part à l'étranger, c'est bien qu'il veut lier son destin avec tous les résidents de son pays d'accueil, mais surtout pas avec ceux du pays où il est né. Et il y en a tellement qui font ce choix...

Même en restant en France, l'animosité entre factions politiques est d'une virulence extrême. Par exemple, Jean-Marie Le Pen a recueilli 5 millions de voix, mais il y a au moins autant de Français qui vouent aux gémonies chacun de ses électeurs. Le même phénomène se produit de l'autre côté de l'échiquier politique. Ces gens-là ne veulent pas partager leur destin avec ceux de l'autre bord.

Le Général de Gaulle a dit: "Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ?" Le moment est peut-être venu d'admettre que la France est ingouvernable parce que les Français revendiquent la liberté de choisir la liste des gens avec qui ils seront solidaires.

Et de quel droit leur supprimerait-on cette liberté?



Il faut appeler un chat un chat: le simple fait d'habiter à une certaine adresse impose une solidarité obligatoire avec une liste de gens qu'on ne connaît pratiquement pas, et qui n'ont pour point commun que d'avoir une adresse située dans la même zone géographique. Les frontières de cette zone sont arbitraires et ont été déterminées par les générations précédentes, hors du consentement de la génération présente. Elles l'ont d'ailleurs été au prix d'atroces violences commises contre ceux qui étaient de l'autre côté de la frontière. Est-ce ainsi qu'on doit vivre aujourd'hui?

Dans n'importe quel autre domaine de la vie, cela constituerait une atteinte insupportable aux libertés les plus fondamentales. Est-ce qu'habiter en France impose d'avoir la religion catholique? De faire carrière dans la restauration? D'avoir deux enfants? Non, non et non. Alors pourquoi cela imposerait-il une solidarité forcée avec soixante millions de personnes que vous n'avez pas choisies, et dont une bonne proportion déteste vos choix de vie?

Le contrat social est un contrat entre individus. Il est d'autant plus fort qu'on y consent, c'est-à-dire qu'on accepte la liste des cosignataires. Sinon on n'a qu'à résilier ce contrat et en passer un avec d'autres cosignataires. Je ne vois pas pourquoi cela impose de déménager. Quel rapport avec mon adresse postale? Il s'agit d'êtres humains en chair et en os, et je peux très bien choisir de partager le destin de gens qui vivent plus loin mais pas celui de mon voisin d'en face. C'est une question d'affinité. Sans liberté de choisir il n'y aura pas d'affinité, et sans affinité il n'y aura ni sentiment de solidarité, ni contrat social. Aucun contrat social n'a le droit de s'arroger le monopole d'un territoire donné.

Forcer des gens qui n'ont aucune affinité entre eux à co-signer le même contrat social, juste pour une question d'adresse postale, c'est diabolique.

A suivre...

Gouvernements Libres ou Anarchie?

Murray Rothbard, dans son introduction à la version anglaise de La Production De Sécurité, note que cet article est la première exposition dans l'histoire humaine de ce qu'on appelle maintenant "anarcho-capitalisme", même si son auteur Gustave de Molinari n'utilise pas cette dénomination, et qu'elle l'aurait probablement mis mal à l'aise.

Quand on dit "anarcho" à une personne normale, ce mot évoque une société sans loi ni ordre où chacun fait ce qui lui plaît sans respecter les autres. Est-ce donc là ce que Gustave de Molinari appelait de ses vœux? Lui, l'économiste libéral fervent défenseur du droit de propriété? Sans doute pas.

Le lien entre Molinari et l'anarchie, s'il a une certaine validité logique, repose sur un subtil point de détail théorique qui échappe aux non-spécialistes et qu'il convient d'élucider ici.

Un gouvernement est une institution chapeautant un ensemble d'individus qu'on appellera ses ressortissants. Le gouvernement protège ses ressortissants des agressions commises contre leur vie et leur propriété. En plus de cette protection, il offre un service de réparation contre les agressions qu'il n'a su prévenir, et arbitre les disputes entre ses ressortissants. En cas de dispute entre ressortissants de deux gouvernements différents, les deux gouvernements s'entendent à leur niveau pour trouver une solution, puis font redescendre les résultats de l'arbitration auprès de leurs ressortissants respectifs.

Tous ces services fort utiles ne sont pas fournis sans contrepartie. Ces contreparties sont de deux types différents. Premièrement, il y a l'obéissance aux contraintes imposées par le gouvernement. Le gouvernement publie une liste des comportements qu'il autorise et n'autorise pas de la part de ses ressortissants, et des punitions qu'il leur infligera en cas de violation de ces règles. En cas de conflit entre le gouvernement et un de ses ressortissants, c'est le gouvernement qui arbitre. Deuxièmement, il y a un coût financier qui doit être payé par le ressortissant à son gouvernement. Son montant est fixé par le gouvernement lui-même.

En outre, un gouvernement peut offrir des services annexes qui sortent de ses fonctions centrales de protection et d'arbitration. Il peut même publier des règles imposant à ses ressortissants d'utiliser lesdits services annexes. On pense notamment aux services de santé, d'éducation et de caisse de retraite, mais il peut y en avoir autant que le gouvernement décide d'en rajouter.

Jusqu'ici, cette définition n'a absolument rien de surprenant. Elle devrait être acceptable par tous, de l'homme de la rue au plus érudit théoricien de la chose politique, qu'il soit étatiste ou non.

Etant données toutes les prérogatives dont jouissent les gouvernements vis-à-vis de leurs ressortissants, l'une des questions les plus cruciales est: à quelles conditions puis-je m'affranchir de mon gouvernement?

Notons immédiatement que s'affranchir d'un gouvernement sans en rejoindre un autre n'est pas une option particulièrement viable. Elle reviendrait effectivement à se couper de la société des hommes et à vivre comme une bête sauvage dans son trou. Ce serait terriblement dangereux, car étant ainsi dénué de protection supérieure on ferait une cible parfaite pour tous les coups bas. Nous nous concentrerons donc sur la question la plus intéressante, qui est: à quelles conditions puis-je m'affranchir de mon gouvernement pour m'affilier à un autre?

Levons immédiatement une ambiguïté: il ne s'agit pas ici de voter pour changer l'identité du chef du gouvernement. L'identité du chef (et de ses collaborateurs immédiats) n'est qu'une toute petite partie de ce qui rend un gouvernement attrayant ou non. Et de toute façon dans ce mode de décision collectif je n'ai qu'une chance infinitésimale d'être l'électeur-pivot qui fait basculer la majorité d'un camp à l'autre, à supposer que l'un des candidats dans la courte liste de ceux qui sont éligibles me plaise. En pratique c'est la majorité du reste des ressortissants qui m'impose l'identité du chef qu'elle préfère. Ce dont il s'agit ici est complètement différent: c'est de couper tout lien avec un gouvernement, ses agents et ses ressortissants afin de se lier avec un autre gouvernement, ses agents et ses ressortissants.

Voici maintenant la distinction cruciale. Il existe deux types de gouvernement: 1) les gouvernements libres; et 2) les gouvernements monopolistiques. La différence entre les deux est qu'un gouvernement monopolistique exclut tous ses concurrents d'un territoire donné, donc si on veut en changer il faut déménager. Alors qu'un gouvernement libre accepte la compétition d'autres gouvernements sur le même territoire, donc on peut en changer sans déménager. C'est tout.

Un gouvernement monopolistique s'appelle un état. Quand Murray Rothbard se définit comme anarcho-capitaliste, il veut dire qu'il est contre l'état, c'est-à-dire qu'il objecte à ce qu'un gouvernement devienne monopolistique. Il n'est absolument pas contre les gouvernements libres, bien au contraire! C'est d'ailleurs ce que l'épithète capitaliste suggère au lecteur averti, car du libre jeu du marché émergeront des structures complexes capables de répondre aux besoins de protection et d'arbitration émanant de la population... en d'autres mots, des gouvernements libres.

Seulement voilà, quand on dit "anarcho", l'homme de la rue comprend-il bien que Rothbard veut empêcher tout gouvernement libre d'imposer son monopole sur un territoire donné, ou fait-il l'erreur de croire que Rothbard est opposé à toute ce qui ressemble de près ou de loin à un gouvernement avec les contraintes afférentes?

Moi, je m'exprime plus clairement: je prends fermement position en faveur des gouvernements, mais des gouvernements libres. Molinari et Rothbard ont la même position, quoiqu'ils l'expriment à leur manière. Mais les anarchistes qui sont contre toute forme de gouvernement, qui sont même contre un gouvernement se laissant concurrencer par d'autres gouvernements sur le même territoire, n'ont rien de commun avec nous.

Je veux libérer les gouvernements du monopole territorial, pas les abattre.

A suivre...

Contrat Social

Il est toujours bon de relire les textes fondateurs des pensées ennemies. D'ailleurs j'ai relu récemment le Manifeste du Parti Communiste (1848) de Marx et Engels et je ne me suis pas ennuyé... Le problème de la France aujourd'hui, c'est qu'au nom du contrat social on a instauré un régime tyrannique où l'état et ses acolytes volent, briment et dégoûtent tous ceux qui ont envie de produire quelque chose. On nous soûle d'égalité, de solidarité citoyenne et autres billevesées, alors il faut remonter à la source de toutes ces idées malsaines, le fameux livre de Jean-Jacques Rousseau: Du Contrat Social (1762).

Je l'ai lu, et c'est à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Selon wikipedia, il est à la base de la conception française de la démocratie. On n'est pas sorti de l'auberge.

L'idée d'un contrat social, c'est que pour ne pas vivre comme un sauvage dans son trou, il faut accepter certains conventions dans ses relations aux autres. A priori, pourquoi pas: c'est vrai que les interactions avec d'autres hommes posent des problèmes que Robinson Crusoé seul sur son île ne connaissait pas, donc elles appellent des solutions spécifiques. Mais c'est quand Rousseau décrit les caractéristiques de ce contrat qu'on a envie de s'enfuir en courant ou de l'enfermer dans un asile de fous en compagnie du Marquis de Sade et d'Hannibal Lecter.

Commençons par les bases. Livre I, Chapitre VI: Du Pacte Social. Rousseau analyse les clauses que le contrat social doit comporter.

Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l'acte que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet.
Ça donne le ton: pas le droit de discuter! N'importe qui ne serait pas d'accord avec les clauses telles que Rousseau les énonce serait responsable du retour de l'humanité à l'âge des cavernes. Je n'ose imaginer le traitement que l'état serait "légitimement" amené à faire subir à un tel dissident. Pas vraiment ouvert d'esprit ni tolérant de la dissenssion, comme attitude... Alors quelles sont-elles, ces fameuses clauses que nul impudent ne saurait remettre en doute?
Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. (Livre I, Chapitre VI)

Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale (Livre I, Chapitre VI)

Chaque membre de la communauté se donne à elle au moment qu'elle se forme, tel qu'il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu'il possède font partie. (Livre I, Chapitre IX)

Car l'Etat à l'égard de ses membres est maître de tous leurs biens par le contrat social, qui dans l'Etat sert de base à tous les droits (Livre I, Chapitre IX)
C'est du communisme pur et dur! L'individu n'est rien, l'état est tout. Si on ne veut pas vivre comme un loup solitaire dans la forêt, il faut accepter d'être l'esclave de l'état. Je suis désolé, mais si c'est ça le contrat social, je ne veux pas le signer. Je ne veux pas non plus faire partie d'un pays qui fonde ses structures sur ce concept d'écrasement de l'homme. A mon avis, il existe des manières de gérer ses rapports avec les autres qui n'exigent pas un tel asservissement. L'axiome de non-agression, pour être précis. Les gens qui nous jettent le contrat social à la figure à tout bout de champ, ils savent que ça exige l'aliénation de tous les droits individuels? Si oui c'est des salauds, si non c'est des cons.
Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre
Fantastique. On va forcer les gens à être libres. Car l'aliénation totale de chacun avec tous ses droits, c'est la liberté, bien sûr. Il fallait y penser. On croirait entendre la novlangue de Big Brother dans le roman 1984 de George Orwell. Quel génie en avance sur son temps, ce Rousseau!

Le Livre II repart très fort. Chapitre I: la souveraineté de l'état sur ses citoyens est inaliénable. Chapitre II: la souveraineté de l'état est indivisible. Chapitre III: les décisions de l'état sont infaillibles. Chapitre IV: l'état est seul juge des bornes de son propre pouvoir souverain. On peut donc lui faire confiance pour ne pas en abuser... Ah oui, j'oubliais, il est infaillible. Chapitre V: l'état a droit de vie ou de mort sur ses sujets. C'est normal, il faut pouvoir punir les esclaves rebelles, sinon la maison sera mal tenue.
Autre difficulté qui mérite attention. Les sages qui veulent parler au vulgaire leur langage au lieu du sien n'en sauraient être entendus. Or il y a mille sortes d'idées qu'il est impossible de traduire dans la langue du peuple. Les vues trop générales et les objets trop éloignés sont également hors de sa portée
Rousseau prend donc les gens pour des imbéciles. C'est vrai que pour gober les énormités qu'il profère, il vaut mieux avoir le cerveau en compote.
Voilà ce qui força de tout temps les pères des nations à recourir à l'intervention du Ciel et d'honorer les dieux de leur propre sagesse, afin que les peuples, soumis aux lois de l'Etat comme à celles de la nature, et reconnaissant le même pouvoir dans la formation de l'homme et dans celle de la cité, obéissent avec liberté et portassent docilement le joug de la félicité publique.
Obéir avec liberté et porter docilement le joug de la félicité publique. Beaux exemples supplémentaires de novlangue. La servitude, c'est la liberté. Ben voyons. La guerre, c'est pour la paix. Et puis quoi encore? Le vol, c'est l'égalité. Mais qu'on l'enferme dans sa camisole de force, ce type! Il est dangereux.

Je n'en suis même pas au tiers du bouquin, mais pas la peine de continuer. Je pense qu'on a assez de preuves à charge dans le dossier. Le contrat social, c'est un piège à gogos. C'est le communisme le plus dur. Robespierre et Lénine, même combat. Relisez Soljenitsyne et Arthur Koestler si vous voulez voir où ça mène. Quant aux étatistes de tout crin qui s'abritent derrière le contrat social pour saigner la France aux quatre veines, honte à eux.

A suivre...

Contrainte

On rencontre souvent des gens équilibrés, paisibles et bien intentionnés qui, au détour d'une conversation anodine, expriment le souhait que l'état intervienne pour remédier à quelque problème. Par exemple, un ami peut très bien dire qu'il soutient la cinquième proposition du pacte écologique de Nicolas Hulot : promouvoir une grande politique nationale d'éducation et de sensibilisation à l'écologie et au développement durable.

Il s'agit de changer les programmes éducatifs imposés à tous les enfants pour sacrifier certaines matières moins à la mode comme le français ou les mathématiques afin de faire place nette pour l'écologie. Nicolas Hulot veut aussi lancer de coûteuses campagnes de publicité afin de remodeler les désirs et les décisions des gens dans le sens écologique. Le tout sera financé par un budget ambitieux prélevé sur la richesse produite par les contribuables et géré par lui-même ou quelqu'un comme lui.

Le libéralisme est viscéralement hostile à toute tentative d'élargir le domaine d'action de l'état. Notons en passant qu'il s'agit toujours de l'élargir et jamais de le rétrécir: quel homme politique a jamais dit que si on vote pour lui, l'état arrêtera de s'occuper de tel ou tel domaine parce que ce n'est pas son rôle? Quel ministre a déjà fermé son ministère, licencié son personnel, vendu ses bâtiments et brûlé ses archives?

Revenons à nos moutons: que répondre à un ami qui soutient la proposition de Nicolas Hulot ? On peut nier la réalité scientifique de l'effet de serre, admettre qu'on se contrefiche du destin de la planète, ou bien dire que c'est jeter l'argent par les fenêtres parce que les Français n'en font qu'à leur tête de toute façon. Mais ça risque de ne pas être très bien reçu.

En fait, comme le montre Stefan Molyneux, la vraie réponse libérale est ailleurs. Elle est à la fois plus simple, plus universelle et plus élégante.

Si mon ami voulait payer de sa poche pour financer la proposition de Nicolas Hulot, soit. Mais ce n'est pas du tout ça qu'il veut. Il veut que moi, qui ne suis pas d'accord avec cette idée, je sois forcé de la financer sous peine de me faire tirer dessus par la police ou violer en prison. Vous avez déjà essayé de ne pas payer vos impôts parce que vous désapprouviez la manière dont ils sont dépensés, pour voir ce qui vous tombe dessus?

Soutenir la proposition de Nicolas Hulot, c'est valider l'usage de la contrainte étatique pour forcer les récalcitrants à financer une activité à laquelle ils sont opposés. Autant que mon ami dise qu'il voudrait sortir son revolver sur le champ et ponctionner mon argent lui-même pour le donner à Nicolas Hulot. Il le fait par personne interposée et avec un délai dans le temps, ce qui est plus lâche, mais ça donne exactement le même résultat. Est-ce ainsi que les amis se traitent entre eux?

Une fois que notre ami aura pris conscience de la violente contrainte impliquée par son soutien à la proposition de Nicolas Hulot, espérons qu'il changera de refrain.

A suivre...

Souveraineté

Les libéraux sont réputés être contre l'Etat. Ils veulent rogner son champ d'action, réduire son budget, et pestent contre ses abus de pouvoir. Quand je me décris comme anarcho-capitaliste, la racine grecque de "anarcho" implique la désintégration de l'Etat.

Et pourtant la plupart des gens que nous connaissons aiment bien l'Etat. Ils n'aiment pas tout, certes, mais ils lui sont reconnaissants de nombre de services qu'il leur rend. Je connais beaucoup de fonctionnaires, et dans l'ensemble ils sont très sympa. Je dirais même que leur contribution personnelle n'est pas visiblement néfaste.

Alors pourquoi ce paradoxe? Une résolution possible est que l'Etat a de nombreuses facettes, et que les anarcho-capitalistes sont opposés à une facette, mais que les autres facettes sont toutes OK. En somme, si on conçoit l'Etat comme une vaste institution, les anarcho-capitalistes peuvent très bien contester un aspect précis de l'Etat, mais (parce qu'ils ne sont pas vraiment différents du commun des mortels) ne pas contester le reste. Alors il faut se demander parmi tous les agents de l'Etat, dans tout son budget et ses missions, quel est le pourcentage affecté à cette caractéristique qui irrite tant les libéraux, et quelle est la part du reste? Si ce pourcentage est faible, les libéraux ne nient pas l'Etat en bloc. Message plus facile à accepter, non?

Et c'est exactement ce qui se passe. Contrairement aux idées reçues, il n'existe qu'un seul aspect de l'Etat qui indispose les libéraux, et cet aspect consomme une petite fraction des ressources de l'Etat. Ce n'est pas dire qu'il est négligeable, mais dire que les libéraux ne sont pas du tout opposés à ce que la majorité des gens entendent par le mot "Etat".

Cet aspect unique que les libéraux contestent, c'est la souveraineté territoriale. N'importe quelle autre entreprise humaine exerce son champ d'action sur des individus. Une compagnie d'assurance vend ses polices d'assurance à des individus mais ne détient pas de monopole sur un territoire donné. L'implication nécessaire d'une institution focalisée sur des terres et non sur des individus est que les individus qui se trouvent sur ces terres y sont soumis sans y avoir consenti. C'est un bétail que l'on trimballe au gré des changements politiques, que l'on tond et qu'on châtie à l'envi. Les individus ne s'appartiennent plus: ils appartiennent à la terre et la terre appartient à l'Etat.

En pratique, cela veut dire que l'Etat use de la force de ses policiers et soldats pour empêcher tout Etat concurrent de venir proposer ses services sur un territoire donné. La souveraineté est un monopole territorial. Or tout monopole imposé par la violence est mauvais. On ne voit d'ailleurs pas comment l'Etat, qui est un soi-disant "contrat social" entre individus, peut logiquement être ancré dans des terres. D'autant plus qu'un individu peut acheter une parcelle de ces terres et qu'officiellement elle lui appartient. Si elle lui appartenait vraiment, pourquoi devrait-il obéir à la loi imposée par d'autres hommes s'il ne sort pas de la parcelle de terre qu'il leur a achetée? Et pourtant, essayez de vous droguer chez vous et vous serez vite envahis par le bras armé de l'Etat.

C'est donc uniquement le principe de souveraineté territoriale qui scandalise les libéraux. Les autres aspects de l'Etat, qui sont bien plus familiers, ne posent pas problème en eux-mêmes.

Or, parmi tous les agents de l'état, lesquels préservent la souveraineté territoriale? Les soldats, les juges qui traitent des contentieux concernant des étrangers, les politiciens qui négocient avec les représentants d'autres Etats, le corps diplomatique. Je dirais 10% maximum. Les autres 90% des fonctionnaires et du budget n'ont rien à voir avec la préservation de la souveraineté territoriale.

Et encore, les soldats sont partiellement utiles quand il s'agit de tirer sur des envahisseurs qui viennent égorger nos fils et nos compagnes. Mais si des policiers belges voulaient installer un commissariat en France pour offrir, moyennant finances, leur protection aux Français qui veulent sortir des lois et des impôts français, ils se feront aussi tirer dessus. Suis-je le seul à voir que dans le premier cas ces soldats nous aident et dans le deuxième ils nous asservissent?

A suivre...

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