Hérétique

Je suis arrivé à un âge où on a déjà un certain recul: on se souvient exactement comment les choses étaient il y a 30 ans, on voit comment elles sont aujourd’hui, et on peut faire la comparaison. J’ai aussi eu la chance de vivre dans 3 pays différents, pendant assez longtemps, et en étant assez immergé dans la vie locale pour pouvoir faire des comparaisons.

Tout cela fait énormément de données sur les êtres humains, la société, l’économie, la politique, etc. Une telle masse de données demande à être organisée, structurée. Elle demande d’être intégrée à un modèle de l’être humain, de la société, de l’économie, de la politique, de l’histoire, de la philosophie, etc.

Or, je n’ai pas fait qu’observer ce qui se passait autour de moi, j’ai aussi écouté les théories que l’on faisait à ce sujet. Tous les hommes politiques, tous les économistes exposent leur vision du fonctionnement de la société. Tous les journalistes d’opinion, les pamphlétaires, proposent des explications. Ces explications sont variées dans une certaine mesure, mais elles ont aussi – malgré leur diversité superficielle – certains présupposés en commun. Ces présupposés, rarement avoués explicitement mais bel et bien présents, sont en fait les marques caractéristiques de leur origine:

  • ce sont des explications de l’époque actuelle, pas d’il y a un siècle ou deux ou cinq (date);
  • ce sont des explications qui circulent dans les grandes démocraties occidentales développées (lieu);
  • ce sont des explications “officielles” avancées par des personnalités prestigieuses et très écoutées (statut).
Donc d’un côté, les faits ; de l’autre, les explications, qui combinent une extrême diversité de surface avec une extrême commonalité de présupposés profonds.

Or, que vois-je quand je compare les faits avec les explications ? Je vois que ça ne colle pas. Je vois que, dans l’ensemble limité par les présupposés officiels, toutes les explications, aussi diverses soient-elles, se valent, en ce sens qu’elles sont toutes aussi peu satisfaisantes. Je n’en ai trouvé aucune capable de rendre compte des faits que j’ai observés pendant 3 décennies dans 3 pays. C’est à la fois très décevant et très troublant.

Alors que faire ? Abandonner ? Se dire que les faits ont tort et adopter l’une de ces explications officielles, choisie aléatoirement puisqu’elles sont toutes incapables de rendre compte des faits ? Ou encore pire : se dire qu’il n’existe aucune explication ? Ça serait prématuré.

En plus, ce n’est pas ce que je ressens. Je ressens que certaines tendances lourdes se déroulent pour une raison précise, je vois que certaines explications populaires ont une capacité partielle à expliquer certains aspects mais pas d’autres. Je me dis qu’il faut continuer à creuser.

Mais cela implique de sortir du champ des opinions acceptées (statut/date/lieu). Il faut faire appel à l’histoire des idées : piocher dans les idées qui avaient cours dans le passé et sont aujourd’hui en contradiction avec les presupposés universels. Il faut aller chercher du côté des perdants de l’histoire des idées. Du côté de ceux qui étaient respectés comme des adversaires valeureux, et un jour ont perdu, alors ils ont été complètement laminés et effacés.

C'est donc ce que j’ai fait.

Et, à ma grande surprise, j’ai trouvé qu’il y a un groupe d’idées qui me semble très bien coller aux faits tels que je les observés tout au long de ma vie. Ces idées ont eu un statut très fort à certaines époques dans le passé, mais maintenant peu de gens les connaissent ou les prennent au sérieux. Je n’y peux rien si, moi, je les prends plus au sérieux que toutes les explications officielles. On peut définir ces idées par une succession d’écoles de pensée :
  • les scolastiques de l’université de Salamanque (en Espagne) au XVIème et XVIIème siècles, tels que : Domingo de Soto (confesseur de Charles Quint), Diego de Covarrubias (évèque de Ségovie) et Martin de Azpilcueta.
  • les physiocrates en France au XVIIIème siècle, tels que : Vincent de Gournay (intendant du commerce sous Louis XV), Richard Cantillon et Turgot (ministre des Finances de Louis XVI).
  • l’école française d’économie du XIXème siècle : Jean-Baptiste Say (titulaire de la première chaire d’économie au collège de France), Frédéric Bastiat (député des Landes) et Gustave de Molinari.
  • l’école autrichienne d’économie entre 1871 et la seconde guerre mondiale : Carl Menger (titulaire de la chaire d’économie politique à l’université de Vienne), Eugen von Böhm-Bawerk et Ludwig von Mises (conseiller économique du gouvernement autrichien dans les années 1920).
Il existe une filiation directe entre ces écoles de pensée, et elles partagent essentiellement la même vision du monde, même s’il y a fort heureusement un certain progrès au fil du temps. Dans leurs pays respectifs, elles ont chacune tenu le haut du pavé sur la scène intellectuelle pendant plusieurs décennies.

Aujourd’hui, elles sont tombées en désuétude. C’est un terme relatif. Il y a plus d’économistes de l’école autrichienne vivants que morts. Mais c’est parce que le nombre total d’économistes professionnels sur la planète a explosé. Relativement à la profession d’économiste en général, les héritiers de cette longue tradition sont complètement marginalisés. Ils n’apparaissent pas dans les médias, ne sont pas nommés aux postes de responsabilité dans les gouvernements, et ne détiennent pas de chaires d’université prestigieuses. C’est parce qu’ils ne partagent pas les présupposés qui font qu’une pensée a sa place dans le champ de ce qui est admis actuellement.

C’est donc une pensée fragile, parce que l’ensemble du discours officiel contemporain est destiné à la ridiculiser. Et pourtant, le fait qu’elle ait tenu le haut de pavé pendant si longtemps, dans des pays différents, attirant les meilleurs esprits de son époque, et léguant des livres et des idées qui sont encore lus aujourd’hui, ça devrait suffire à établir que ce n’est ni fou, ni ridicule. C’est une école qui a perdu la lutte intellectuelle du XXème siècle. Pendant la première moitié du XXème siècle, l’école autrichienne était considérée comme un adversaire redouté et respectable. Maintenant c’est une vision incroyablement dépassée, pour ne pas dire extrême. Il se sont fait excommunier par les détenteurs du pouvoir intellectuel, ce sont des hérétiques. Excommunier mais pas exterminer. Ces idées sont encore tolérées dans certains coins reculés, d’où elles ne peuvent pas créer de remous et influencer le grand public.

Géographiquement, ces idées ont encore une fois changé de pays et se développent maintenant principalement aux États-Unis. On peut citer comme figures principales : Murray Rothbard (Brooklyn Polytechnic Institute), Hans-Hermann Hoppe (University of Nevada Las Vegas) et Walter Block (Loyola University New Orleans). Cette tradition a deux journaux de recherche scientifique à comités de lecture : Quarterly Journal of Austrian Economics et Journal of Libertarian Studies ; un think tank : le Ludwig von Mises Institute à Auburn dans l’Alabama ; et même un site internet qui porte un regard original sur l’actualité avec une demi-douzaine d’éditoriaux nouveaux chaque jour : www.lewrockwell.com. Néanmoins, cette tradition n’a pas dans les États-Unis d’aujourd’hui le statut proéminent qu’elle avait en Autriche il y a 100 ans, en France il y a 200 ans ou en Espagne il y a 500 ans, loin s’en faut.

Une partie de ce qui fait qu’une tradition perd la bataille des idées, c’est qu’on lui vole son nom. Les gagnants de la bataille des idées n’ont consenti à leur laisser que des noms imprononçables comme « austro-libertarien » ou « praxéologie », j’en passe et des meilleurs. Alors, si cette tradition de pensée n’a pas de nom, et n’a pas droit de cité dans le débat public, comment la décrire ?

Au niveau le plus fondamental, c’est une tradition qui proclame qu’il existe certaines lois naturelles dans le domaine des sciences humaines, des sciences politiques, de la science économique. Ces lois sont immuables et l’homme peut au mieux les découvrir et les utiliser pour choisir ses actions, mais il ne saurait en aucun cas les modifier, pas plus qu’on ne peut modifier la loi de la gravité. De plus, ces lois ne peuvent être découvertes que par la logique, le raisonnement théorique, et l’introspection : elles ne sont pas susceptibles d’être prouvées ou infirmées par l’expérience, pas plus qu’on ne peut prouver ou infirmer par l’expérience le théorème de Pythagore.

Il faut bien se rendre compte à quel point ces fondements sont en porte-à-faux avec les présupposés du discours contemporain. Cela viole tous les arguments constructivistes selon lequel l’État peut construire un homme meilleur, une société meilleure, si seulement il prend telle ou telle mesure. Actuellement, c’est l’État qui écrit les lois. Eux, ils disent que la loi est au-dessus de l’État.

Cela viole aussi toutes les théories positivistes et empiricistes. Cela offense tous ceux qui essaient de fonder l’économie sur les mêmes bases que la physique : une base expérimentale et une modélisation mathématique poussée.

Il n’existe que deux positions acceptables dans le débat actuel : soit nier la possibilité de tenir un discours scientifique sur l’action humaine, nier l’existence de lois universelles en ce domaine ; soit dire qu’un tel discours scientifique est possible, certaines lois peuvent être découvertes, mais uniquement selon la méthodologie des sciences physiques. Or, eux, rejettent ces deux approches. Ils disent qu’il existe des lois de l’action humaine, mais que celles-ci ne sont pas analogues à celles de la physique, qu’elles procèdent d’une épistémologie différente et spécifique à la nature humaine.

Ces lois sont peu nombreuses, et peu de nouvelles ont été découvertes depuis les scolastiques espagnols du XVIème siècle, même si certains raffinements et certaines conséquences ont été développées au fil du temps. Ces lois sont universelles, et s’appliquent tout autant à un royaume de la Renaissance qu’à une démocratie moderne.

Savoir quelles sont ces lois, c’est en somme moins important que le fait qu’elles existent indépendamment de la volonté activiste des ingénieurs sociaux. Nous sommes tous des ingénieurs sociaux aujourd’hui : nous croyons qu’une peu de volonté suffit à remodeler la société de telle ou telle manière, et nous ne nous posons jamais la question de savoir s’il existe des limites naturelles à ce qu’une telle volonté peut accomplir. C’est précisément ce qui m’a choqué quand j’ai analysé les trois décennies de données accumulées dans trois pays différents : j’ai réalisé que les politiques volontaristes et constructivistes les mieux intentionnées semblaient se heurter à des lois invisibles, un peu toujours les mêmes, qui frustraient leurs efforts et engendraient des conséquences complètement différentes voire opposées.

J’ai trouvé que cette tradition hérétique était la seule qui acceptait la notion que ces lois existent. Une fois que l’on accepte que des lois naturelles de l’action humaine existent, il n’est pas difficile de se mettre d’accord pour savoir lesquelles. Un peu de logique et d’introspection, en s’inspirant des exemples les plus frappants autour de nous, et le tour est joué. Parmi ceux qui acceptent cela, il y a très peu de désaccord au sujet de l’énoncé précis des lois.

La grande question, la voilà : est-il possible de tenir un discours scientifique au sujet de l’action humaine, de l’économie et de l’organisation sociale, un discours qui énonce des lois précises, tangibles et inviolables, et pourtant qui repose sur des présupposés complètement différent de ceux des sciences physiques ? Du XVIème siècle à la seconde guerre mondiale, de grands penseurs reconnus et respectés dans leur pays ont dit que oui. Depuis, ils ont été excommuniés par les maîtres de la pensée moderne, et ne subsistent que dans quelques sanctuaires qu’ils se sont recréés loin des centres de pouvoir.

L'argument-massue qui, à mon sens, prouve sans aucun doute possible que cette approche est non seulement la meilleure mais la seule possible, le voilà. Premièrement, dire qu'il n'existe aucune loi dans les sciences humaines, c'est inacceptable parce que ça nie la capacité de la raison à donner un sens à ce qui nous entoure: c'est la porte ouverte à tout et n'importe quoi. Deuxièmement, dire que ces lois peuvent être identifiées par les mêmes méthodes que dans les sciences physiques, c'est inacceptable parce que ça nie la liberté d'action qui définit notre humanité: ça nous rabaisse au rang de bactéries et d'électrons. C'est pour cela que le seul moyen de dire quelque chose de sensé au sujet de l'économie et de l'organisation sociale est de bâtir un corpus scientifique sur une méthodologie différente de celle des sciences physiques, destinée à prendre en compte spécifiquement la liberté de l'être humain. Parmi les discours qui tombent dans cette catégorie, la pensée de l'école autrichienne est la seule à pouvoir prétendre à être qualifiée de scientifique.

Pour donner une idée de ces lois, on peut faire une liste incomplète mais néanmoins suffisamment représentative pour commencer :
  1. L’action humaine est la poursuite délibérée par un agent des objectifs qu’il s’est fixé, en employant des ressources rares à sa disposition.
  2. Toute action vise à augmenter le bien-être subjectif de l’agent au-dessus du niveau où il aurait été si l’action n’avait pas été faite.
  3. Lors d’une transaction volontaire, les deux parties sont gagnantes. En effet, si l’une au moins des deux parties ne pensait pas que la transaction augmente son propre bien-être subjectif, elle aurait tourné le dos et serait partie sans l’effectuer.
  4. La valeur d’un objet ou d’un service n’est pas un attribut intrinsèque. C’est simplement le prix que paie un acheteur pour cet objet ou ce service au cours d’une transaction volontaire.
  5. Une plus grande quantité d’un bien est préférée à une plus petite quantité du même bien.
  6. Si l’on maintient artificiellement le prix de quelque chose au-dessus du prix qui serait spontanément apparu sur le marché libre, alors il y aura plus de vendeurs et moins d’acheteurs qu’en l’absence d’intervention.
  7. Si l’on maintient artificiellement le prix de quelque chose au-dessous du prix qui serait apparu spontanément sur le marché libre, alors il y aura moins de vendeurs et plus d’acheteurs qu’en l’absence d’intervention.
  8. La production doit précéder la consommation.
  9. Aucune chose ou partie d’une chose ne peut être la propriéte exclusive de plus d’une personne à la fois.
  10. La propriété et les titres de propriété sont deux entités distinctes. L’augmentation du deuxième sans augmentation correspondante du premier n’augmente pas la richesse de la société, mais amène une redistribution de la richesse existante.
Cela n’a l’air de rien, mais c’est beaucoup. Ça a des conséquences multiples sur toutes les grandes questions de société qui occupent la première place dans les débats actuels. Seulement voilà, comme la tradition scolastique-physiocrate-austro-libertarienne n’a pas droit de cité, parce qu’elle a perdu la bataille des idées au XXème siècle, elle ne peut pas peser sur le débat. Si elle essayait de se faire entendre, elle se ferait conspuer et chasser par tous les gardiens du temple de la raison.

Ce ne sont pas juste les présupposés qui ont été déclarés hérétiques, ce sont les conclusions aussi. En effet, il n’est pas surprenant que des présupposés aussi éloignés de ceux qui sont officiellement tolérés engendrent des conclusions tout aussi éloignées de celles qui sont officiellement tolérées.

Quand le débat se déplace du niveau des présupposés à celui des conclusions, le ton change dramatiquement. Au niveau des présupposés, on dit simplement que les méthodes autrichiennes sont dépassées et erronnées. L’erreur est humaine, et la communauté scientifique a décidé que vous aviez tort. On n’attaque pas la personne, la compétence, la santé mentale de ces universitaires : on dit juste qu’ils perdent leur temps et font fausse route. La preuve, c’est que les tenants de cette approche ont quand même des postes de professeur d’économie dans des universités accréditées, même si elles sont peu prestigieuses, au lieu d’être gourous de cultes.

Par contre, au niveau des conclusions, la critique est beaucoup plus sévère : on dit qu’ils sont fous, dangereux, extrémistes. On les compare presque à des terroristes. On dit qu’ils sont méchants, criminels et abominables.

Comment les conclusions logiques d’une approche scientifique qui a régné en maître pendant des siècles dans plusieurs pays civilisés peuvent-elles être qualifiées de folles ? La folie, n’est-ce pas le contraire de la raison, et le caractère rationnel de cette approche scientifique n’est-il pas reconnu par tous, même par ceux (majoritaires) qui préfèrent emprunter une approche scientifique différente ?

Cette question est très gênante. D’autant plus que la liste des 10 lois naturelles de l’action humaine énoncée plus haut ne semble pas folle du tout.

Voilà où j’en suis : la seule théorie de l’action humaine que j’ai trouvée pour expliquer les observations que j’ai collectées durant trois décennies dans trois pays différents fait que je suis traité de fou. C’est une position très désagréable. La quête du savoir a fait de moi un hérétique.

A suivre...

L'anatomie de l'Etat

Voici un texte fondamental de Murray Rothbard prouvant que l'Etat n'est rien d'autre qu'un parasite. La version originale s'intitule Anatomy of the State, et parut pour la première fois dans le Rampart Journal of Individualist Thought, Vol. 1, No. 2 (1965). Cet article a été ensuite reproduit dans le livre Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays (2000) publié par le Ludwig von Mises Institute. Cette traduction française est l'œuvre de Fabrice Ribet.

Version PDF intégrale à télécharger (258 KB): L'anatomie de l'Etat

Alternativement, cet article est divisé en 9 sections qui peuvent être consultées sur l'excellent blog libertarien (avec des images!) de l'ex-énarque Copeau :

  1. Ce que l'Etat n'est pas

  2. Ce qu'est l'Etat

  3. Comment l'Etat se maintient (1/2)

  4. Comment l'Etat se maintient (2/2)

  5. Comment l'Etat transcende ses limites

  6. Ce dont l'Etat a peur

  7. Comment les Etats entrent en relation les uns les autres (1/2)

  8. Comment les Etats entrent en relation les uns les autres (2/2)

  9. L'histoire vue comme une course-poursuite entre le pouvoir d'Etat et la puissance sociale


A suivre...

Une citation de Noam Chomsky

Pour mémoire, Noam Chomsky peut être considéré comme l'inventeur de la linguistique moderne. Donc pas un petit-braquet au niveau du cerveau.

Il est plutôt marqué à gauche. Si un libéral conservateur comme moi vous traduit ses pensées, en moyenne ça sera objectif.

"C'est seulement dans les histoires folkloriques, dans les contes pour enfants, et dans les journaux d'opinion intellectuels [Note de Gallatin: par exemple Le Monde et le Figaro] que le pouvoir est utilisé sagement et positivement pour détruire le mal. Le monde réel enseigne des leçons très différentes, et il faut faire preuve d'une ignorance volontaire et ciblée pour ne pas s'en apercevoir."
Noam Chomsky, discours intitulé "Le monde après le 11 septembre", conférence de l'AFSC à l'université Tufts, Massachusetts, Etats-Unis, 8 décembre 2001.
A suivre...

Tout pout le profit - 2ème partie

Ceci est la continuation de mon dialogue avec Emmanuel, l'auteur du blog français soutenant la campagne de Ron Paul, le candidat libertarien à l'investiture du parti républicain pour les élections présidentielles américaines de 2008. Nous en étions à débattre de l'idée selon laquelle les industriels et commerçants seraient motivés uniquement par une logique de profit maximum. C'est intéressant parce qu'Emmanuel pose tout haut des questions auxquelles la plupart de mes lecteurs pensent sans doute tout bas.

Réponse de Gallatin



Je voudrais commencer par souligner nos points communs.

Nous sommes d’accord que la plupart des patrons d’entreprises sont passionnés par ce qu’ils font, et que l’argent n’est venu qu’après coup.

[Digression] Si c’est rarement des philanthropes, c’est peut-être parce que l’état, ayant remarqué que la philanthropie était une bonne chose, se l’est appropriée. Pour justifier son existence et étendre son pouvoir, l’état a nationalisé la charité, excluant par sa présence même les philanthropes privés.

Supposons que tu gagnes 100 000 euros, et que 10 000 sont taxés pour financer les dépenses de fonctionnement de l’état (police, justice, armée, diplomatie). Jusque là, ça va, il te reste 90 000 euros. Tu peux en dépenser 20 000 en « bonnes œuvres » et en garder 70 000 pour ta consommation personnelle.

Maintenant imagine que l’état te taxe 20 000 euros supplémentaires pour financer ses « aides sociales ». Alors tout est foutu. Les pauvres ont déjà les 20 000 euros que tu voulais leur donner, donc ils n’ont plus besoin de toi. Tu n’as plus les 20 000 euros que tu voulais leur donner, donc de toute façon tu n’aurais pas pu les aider même s’ils en avaient eu besoin. Les pauvres ne sont pas reconnaissants parce qu’ils considèrent ce don comme un dû et ne feront aucun effort pour en être dignes. Tu n’iras pas au paradis parce que ton acte de charité était forcé. Le seul gagnant, c’est l’état ! [Fin de la digression]


Autre point commun, nous sommes d’accord que les fonctionnaires peuvent être corrompus. Nous sommes aussi d’accord que certaines entreprises instrumentalisent le pouvoir régulateur de l’état pour écouler leurs produits qui, sinon, ne trouveraient pas acheteur. A mon sens, c’est un argument contre l’état et non contre le marché, car si l’état ne régulait rien du tout, ces entreprises seraient forcées de mieux satisfaire les besoins de leurs clients.

Nous sommes aussi d’accord que les fonctionnaires peuvent tuer pour des raisons purement idéologiques.

Donc les deux principaux messages de mon article : cessons de peindre les entrepreneurs de manière caricaturale comme des obsédés ; et montrons aussi peu d’indulgence envers les fonctionnaires qu’envers les entrepreneurs – ont été acceptés.

De mon côté, je concède volontiers que l’organisation du secteur privé en entreprise fait que chaque entreprise peut développer une culture, un système qui transcende les motivations individuelles de ses employés. Donc il est possible qu’un système oriente les actions de gens a priori normaux dans un sens unique.

Si certaines entreprises peuvent développer un système orienté vers le profit, ça soulève deux questions :
  1. Existe-t-il une limite naturelle à ça ? Jusqu’où cette quête du profit peut-elle aller sans détruire l’entreprise elle-même ? Qu’est-ce qui empêche cette culture du profit de violer les règles minimales de la vie en société ?

  2. Quel est le système naturel qui se développe dans le secteur public ?

A la première question, je réponds : cette limite, c’est l’atteinte au droit de propriété et à la vie d’autrui. Si l’entreprise orientée vers le profit signe un contrat où elle promet de délivrer X dans le futur et qu’elle ne le fait pas, elle est voleuse. La loi la punira. La victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la propriété et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation !

Si l’entreprise orientée vers le profit vend un produit comme étant un médicament ou un aliment, mais qu’en réalité c’est un poison qui tue, et qu’elle le savait, elle est meurtrière. La loi la punira. La famille de la victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la vie et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation.

Il me semble crucial de noter que, même si on recherche le profit, on n’a pas le droit de voler et de tuer pour maximiser son profit. Cela fixe une limite infranchissable. Même en l’absence de toute régulation, un système orienté vers le profit ne peut pas violer les règles minimales de la vie en société.

Donc l’existence ou pas de régulations, ce n’est pas la différence entre protéger la victime ou la laisser sans défense, loin de là. C’est juste savoir s’il faut accorder des droits supplémentaires à des soi-disant « victimes » dont les droits naturels (à la propriété et à la vie) ont été scrupuleusement respectés. Ce qui est quand même beaucoup moins clair.

Sur le deuxième point, il me semble évident que le secteur public s’oriente naturellement vers la maximisation de son propre pouvoir en tant qu’organisation, au détriment de l’intérêt du reste de la société. C’est autrement plus grave que quand les entreprises maximisent le profit car, face à l’état, les victimes ayant souffert une violation de leur droit de propriété ou de leur droit à la vie ne peuvent pas avoir recours à un juge impartial. Dans tout conflit entre un citoyen et l’état, le juge, c’est... un membre de l’appareil d’état !

Pour finir, quelques remarques en vrac :
  1. Je n’ai pas vu le film « Sicko » de Michael Moore, mais LewRockwell.com, un site où Ron Paul a publié 400 articles depuis 1994, en a fait une critique dévastatrice que je te conseille de lire ici.

  2. Quand tu dis « Dans un monde sans régulation, les plus forts, les plus malins vont très souvent chercher à abuser des plus faibles, des gogos. » il me semble que c’est un argument auquel je réponds dans mon article La chasse au client.

  3. Quand tu dis : « Par nature ces régulations sont imparfaites » il me semble que cela fait une transition vers mon article Les régulations atteignent leur objectif.

Gallatin.



Réponse d'Emmanuel



Voici avec un premier élément de réponse:

Jusqu’où cette quête du profit peut-elle aller sans détruire l’entreprise elle-même ? Qu’est-ce qui empêche cette culture du profit de violer les règles minimales de la vie en société ?(…) cette limite, c’est l’atteinte au droit de propriété et à la vie d’autrui. Si l’entreprise orientée vers le profit signe un contrat où elle promet de délivrer X dans le futur et qu’elle ne le fait pas, elle est voleuse. La loi la punira. La victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la propriété et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation !

Ce raisonnement est logique mais j’y vois quelques objections majeures :


L’idée de l’homme, de la vie et sa valeur

D’une part si l’Etat n’intervient pas pour réglementer une pratique manifestement dangereuse et que l’on attend que les victimes s’organisent, se battent juridiquement, prouvent la réalité du dommage, et obtiennent compensation, il est fort probable qu’un certain délai va s’écouler. Délai pendant lequel la société aura continué son activité incriminée. Ce délai de règlement judiciaire du conflit aura pour conséquence de créer de nouvelles victimes dans ce laps de temps. La question fondamentale ici est pour moi la suivante : Vaut-il mieux laisser le marché et le judiciaire régler naturellement ce problème, quitte à laisser cette entreprise faire de nouvelles victimes ? Ou faire intervenir l’Etat pour protéger des victimes potentielles ? Pour moi tout ne peut pas se « régler » ou se « compenser » par une somme d’argent. Une personne décédée ne va pas ressusciter parce qu’elle (ou ses ayants droits) touchent le pactole devant une juridiction. C’est l’idée même de l’homme et de la vie qui est ici en cause. Peut on mettre un prix sur une vie au nom de la liberté du marché?

Ensuite certains dommages ne sont simplement pas réparables et cela dans deux cas :


L’insolvabilité réelle ou organisée de l’entreprise

Lorsque le dommage excède de beaucoup les capacités financières de l’entreprise, il ne reste plus qu’à cette dernière à se mettre en faillite et la victime n’a plus que ces yeux pour pleurer. De plus certaines activités économiques ne sont pas assurables (par exemple refus des assurances de couvrir les risques de cancer liés à l’utilisation du téléphone portable, malgré de nombreuses études « rassurantes » faites pour les opérateurs télécoms). L’on pourrait également évoquer le cas des mises en faillite frauduleuse, souvent tentante pour éviter de faire face à ces obligations.


La dimension prométhéenne de l’activité humaine contemporaine

Enfin, l’activité humaine a par nature considérablement évoluée depuis l’époque de Bastiat & Co. Les impacts environnementaux de l’industrie étaient nécessairement limités par les connaissances techniques de l’époque. Un cordonnier, un chaudronnier ou un paysan au milieu du 19e siècle avaient un impact potentiel limité sur leurs contemporains. Cela est bien différent aujourd’hui à l’heure du nucléaire, de l’agriculture intensive et des téléphones portables. Les conséquences possibles de certaines activités humaines sont de nature à mettre en danger la survie même de l’espèce humaine (pour le moins dans certaines zones du globe même si l’on s’aperçoit aujourd’hui des répercussions planétaires d’activités dites « locales »). Aucune monétarisation a posteriori d’un dommage écologique grave ne serait alors en mesure de le réparer.

Emmanuel.
A suivre...

Hommes d’état contre Entrepreneurs

Les différences font le sel de la vie. Si le monde était uniquement peuplé de clones génétiquement identiques les uns aux autres et psychologiquement conditionnés à penser pareil, ne serait-il pas un peu triste?

Il y aura toujours des gens au quotient intellectuel élevé, et d’autres à faible Q.I. Il y aura toujours des courageux et des lâches. Des gens capables de consentir des efforts qui ne paieront que dans dix ans, et d’autres qui sacrifient leur futur par paresse. Des gens capables de coopérer avec leur prochain pour tendre vers des objectifs communs, et d’autres qui en sont incapables.

Les premiers réussiront toujours mieux que les seconds.

Le seul moyen d’empêcher cela est d’imposer une égalité forcée qui nie et la nature humaine et la liberté. Staline, Mao et Pol Pot ont essayé. Même en assassinant des centaines de millions de leurs propres concitoyens, ils n'ont pas réussi. Il est extrêmement difficile de trouver de plus grands criminels qu’eux dans l’histoire de l’humanité.

Appelons “surdoués” les gens qui sont intelligents, courageux, orientés vers le long terme et coopératifs, et “gens normaux” les autres. Du point de vue des intérêts propres de la catégorie des gens normaux, et uniquement des gens normaux, que faut-il faire des surdoués? Les exterminer n’est ni humain, ni même utile. Les gens normaux bénéficient énormément de l’existence d’un Louis Pasteur, d’un Victor Hugo ou d’un Gustave Eiffel. Alors que faire de ces surdoués?

Il existe 2 possibilités:

A1) On leur interdit d’user de la contrainte sur les gens normaux: les gens normaux qui veulent ignorer un surdoué peuvent le faire, rentrer chez eux, et on les laissera tranquille. De plus, on met les surdoués en compétition les uns avec les autres: c’est-à-dire qu’ils se font concurrence entre eux pour le privilège d’interagir avec les gens normaux, et ce sont les gens normaux qui choisissent avec qui ils traitent.

Ou alors:

A2) On leur permet d’user de la contrainte physique pour forcer les gens normaux à obéir. De plus, on arroge un monopole local à chaque surdoué: à un instant donné, à un endroit donné, il n’existe qu’un seul surdoué auquel les gens normaux peuvent s’adresser pour remplir une fonction donnée.

La différence entre les 2 possibilités d’emploi pour les surdoués se résume donc ainsi: soit ils doivent user de persuasion dans un contexte de concurrence, soit ils peuvent user de la contrainte physique en situation de monopole.

Vues ces deux possibilités, il semble évident que les gens normaux bénéficient largement plus du premier mode d’organisation social que du second. Comme les surdoués sont plus intelligents, courageux, etc, le premier mode réduit leur avantage naturel en leur interdisant l’usage de la coercition physique et en les mettant en concurrence les uns contre les autres. Par contraste, le second mode accroît leur avantage naturel en leur remettant l’arme de la contrainte physique et en les protégeant de la concurrence des autres surdoués.

Le premier mode est celui du secteur privé. Dans le secteur privé, on ne peut pas forcer physiquement les gens à consommer un produit, et on est perpétuellement en situation de concurrence. Les surdoués qui exercent une activité dans le secteur privé s’appellent les créateurs d’entreprise et les chefs d’entreprise.

Le second mode est celui de l’état. Dans le secteur public, on utilise la police pour faire appliquer ses décisions par la force. Et on n’a pas de concurrence à craindre puisque les autres états n’opèrent qu’à l’intérieur de leurs frontières. Les surdoués qui exercent dans le secteur public s’appellent les hommes politiques et les hauts fonctionnaires.

Il est donc nettement préférable pour les gens normaux d’avoir affaire à des entrepreneurs qu’à des hommes d’état.

Pour être tout à fait exhaustif, je dois mentionner l’existence d’une légende qui prétend le contraire. Selon elle :

  1. Le recrutement pour les postes de hautes responsabilités au sein de l’état n’attire que des gens profondément altruistes, des saints.

  2. Une fois nommés à leur poste, leurs nouveaux pouvoirs ne montent pas à la tête de ces saints car leur âme est pure et incorruptible.

  3. Non seulement ces gens-là ont une trempe de fer qui les empêche d’agir dans leur propre intérêt, mais ils utilisent leurs formidables pouvoirs pour répandre le bien à travers le peuple des gens normaux.

Le premier argument est contraire à la nature humaine, parce que les positions de pouvoir attirent ceux qui sont avides de pouvoir aussi sûrement que la bouse attire les mouches. Le second n’est possible que si les surdoués sont d’une essence désincarnée, éthérée, déshumanisée. Le troisième est un conte de fées pour enfants de 5 ans.

Et qui propage cette légende? Les surdoués parvenus aux postes-clés de l’état qui élaborent les programmes officiels enseignés dans les écoles et universités publiques!

Vous qui entendez cette légende depuis votre plus tendre enfance, est-ce que vous commencez à avoir quelques doutes maintenant?
A suivre...

Les régulations atteignent leur objectif

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'adresse enfin la question de savoir si les législations régulatrices réussissent à protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société. C'est-à-dire je demande si les régulations atteignent le but qu’elles se donnent.

Interdire une action ou une transaction volontaire ne suffit pas à l’éliminer. Ça se passera quand même, mais « au noir ». La plupart des gouvernements interdisent la prostitution, et pourtant c’est le plus vieux métier du monde. La plupart des gouvernements interdisent la drogue, et pourtant il y a des drogués partout.

D’abord, les gens qui voudraient faire des choses proscrites se reportent sur des choses similaires mais permises. Si on ne peut pas faire de la pub pour certains médicaments, on en fera pour de la para-pharmacie (crèmes anti-rides, etc). Donc de toutes façons il y aura un moyen de capter l’argent des gens qui sont mal dans leur peau en leur vendant un peu de rêve. Si on ne peut pas consentir des prêts à des gens ayant peu de collatéral, on proposera des investissements peu rentables ou trop risqués pour capter les économies des gens qui rêvent de devenir riches sans travailler. Comme on ne peut pas tout réguler, tout interdire, il y aura une course-poursuite incessante entre les législateurs et les entreprises pour innover de manière à contourner les règles. Ça ne changera strictement rien, mais les perdants seront les contribuables qui paient les législateurs à pondre des lois inutiles, et les consommateurs qui paient les entreprises pour imaginer des produits inutilement complexes.

Ensuite, les gens qui voudraient faire des choses proscrites continueront à le faire dans l’économie souterraine. Il y aura des pilules qui se vendent sous le manteau dans des endroits louches. Il y aura des usuriers flanqués de collecteurs de dette musclés qui prêteront de l’argent aux gens désespérés. Au total, l’échange se fera quand même, mais hors de la protection de la loi. En cas de fraude, la victime ne pourra pas porter plainte pour demander réparation. Sûrs de leur impunité, les vendeurs de pilules et les prêteurs à gage seront systématiquement plus disposés à frauder. Donc en fin de compte c’est le consommateur qui se fera avoir.

Cette prohibition aura donc l’effet exactement opposé de celui recherché : elle ne protègera pas le consommateur, elle le livrera pieds et poings liés aux gangs de criminels.
A suivre...

Le gouvernement, protecteur des faibles?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, je me demande maintenant si le gouvernement est le mieux placé pour protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

On ne peut pas faire le bonheur de quelqu’un contre son gré. Or le gouvernement détient le monopole de la contrainte, de la coercition, de la force. Donc il est le moins bien placé pour faire le bonheur contre leur gré des faibles, des naïfs, de ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

Pour donner une analogie, c’est exactement comme si je disais à une femme : « Voilà. J’ai bien réfléchi à ta situation. Et j’ai conclu que c’était mieux pour toi que tu m’épouses. Je ferai ton bonheur, même si tu es trop conne pour t’en rendre compte par toi-même. Donc je vais te forcer à me dire oui en face de monsieur le maire. Si tu refuses, je t’imposerais des amendes et/ou te jetterai en prison. »

Il est possible qu’effectivement cette pauvre fille bénéficie qu’on la convainque de m’épouser, mais ça ne peut en aucun cas venir de quelqu’un qui dispose de l’usage de la force et de la contrainte. De la part de quelqu’un qui a un bâton, tout argument devient une menace, et maintenir son désaccord devient un risque tangible.

On peut prévenir les gens qu’ils vont regretter leur décision, mais on ne peut pas les forcer. C’est exactement la politique étrangère de Ron Paul, le candidat à l’investiture républicaine pour la Maison Blanche. Il dit que, si on veut qu’une nation étrangère comme le Vietnam ou l’Irak devienne plus libre, on peut discuter ou faire du commerce avec elle, mais pas l’envahir.

Une bien meilleure source de protection pour les faibles est la concurrence. En effet, toutes les compagnies pharmaceutiques peuvent faire de la publicité pour leurs produits. Et pourtant les gogos ne vont pas acheter chaque produit vanté par la réclame. Il y aura concurrence entre les produits, et comme les consommateurs ont un budget limité à leur disposition, certains produits auront du succès et d’autres pas.

La distinction se fera-t-elle sur la qualité du spot de pub ? Même là, il y a concurrence entre les agences. Si une agence développe une nouvelle technique de marketing, les autres la copieront. A moyen terme, il faut bien supposer que l’efficacité d’une campagne publicitaire est proportionnelle à son budget, car le talent s’achète.

Donc quel produit sera gagnant ? Celui qui marche le mieux. C’est l’effet « bouche à oreille » : Madame Michu au 6ème étage a acheté des pilules Zorg et depuis je la vois monter et descendre les escaliers pour faire une promenade deux fois par jour, alors qu’avant elle sortait à peine trois fois par semaine pour faire ses courses. Même les consommateurs les plus idiots sont capables d’acheter des revues comme « Que choisir ? » ou « 50 millions de consommateurs » qui font des essais comparatifs. Ce sont d’ailleurs les plus consommateurs les plus avides qui sont les plus à même d’acheter de telles revues. Avec l’internet, il est difficile de croire que le produit le plus efficace ne s’adjugera pas la plus grosse part de marché. Les âmes charitables qui veulent voler au secours des simples d'esprit feraient mieux de fonder de telles revues ou de telles sites que de donner les pleins-pouvoirs aux gendarmes.

Ce n’est pas parfait, bien sûr, mais en moyenne, à long terme, la concurrence entre vendeurs protège les acheteurs. Dès qu’il y a concurrence, il est difficile de gagner des parts de marché en vendant du vent.

Là encore, l’exemple de Ron Paul est édifiant. Tous les candidats républicains dépensent leur budget à faire de la pub, et essaient de profiter de la puissance de l’internet. Mais ça ne marche que pour celui dont le message de liberté résonne avec l’américain de base. C’est le meilleur produit politique qui bat la concurrence à plate couture, même si la publicité est permise.
A suivre...

Protéger les naïfs : est-ce désirable ?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, je me demande ici s'il est désirable de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

Une interdiction imposée par l’état frapperait tous les clients potentiels. Vue la diversité humaine, certains achetaient le produit ou le service pour de « bonnes » raisons, et d’autres pour de « mauvaises » raisons (en supposant qu’on soit assez omniscient pour pouvoir distinguer, assez arrogant pour être sûr de son jugement, et assez violent pour l’imposer par la force). Au nom de quoi sacrifie-t-on celui qui aurait bénéficié de l’achat pour « sauver » celui qui aurait fait l’achat pour de « mauvaises » raisons ? N’est-il pas immoral de pénaliser celui qui a assez de jugement pour prendre les « bonnes » décisions et de récompenser celui qui ne s’est pas donné la peine de réfléchir avant de dégainer son porte-monnaie ?

Si l’état pénalise un comportement et récompense un autre, fatalement le comportement pénalisé se fera plus rare, et celui récompensé plus fréquent. On aura donc une société où les gens perdront l’habitude de réfléchir par eux-mêmes, et prendront l’habitude de s’en remettre à l’état pour tout. On voit bien ce en quoi cela bénéficierait à l’état en tant qu’institution, mais on voit mal en quoi cela concourrait au progrès de la civilisation et serait dans l’intérêt de l’humanité.

Ce qui est désirable sur le plan éthique, c’est que chaque adulte soit responsable des décisions qu’il prend. Car si lui n’en est pas responsable, au nom de quoi un autre le serait-il ? Toute atteinte à la notion de responsabilité est profondément déshumanisante, infantilisante et humiliante. Si on traite les gens ainsi, il ne faut pas s'étonner qu'ils se comportent en animaux prisonniers de leurs plus bas instincts, en éternels adolescents insatisfaits, et en mendiants professionnels. Mais peut-être est-ce là le but recherché par nos chers dirigeants? Car une telle masse informe, incapable de volonté à long terme, est tellement plus facile à mener à la baguette avec du pain et des jeux...

Comptons les contents et les mécontents d’une telle interdiction soi-disant protectrice:

  • Celui qui achetait le produit pour de bonnes raisons est mécontent.

  • Le marchand qui vendait le produit est mécontent.

  • Celui qui achetait le produit pour de « mauvaises » raisons est perdant aussi, parce qu’il est persuadé au moment de l’achat que cet achat était dans son intérêt personnel ; on ne l’a pas convaincu qu’il avait tort, on l’a juste forcé à ne pas faire ce qu’il voulait ; donc il n’est pas content.

  • Le fonctionnaire qui a imposé l’interdiction est content, parce que cela justifie son salaire.

  • Le contribuable qui paie le salaire du fonctionnaire n’est pas content.

On le voit, cette interdiction ne bénéficie qu’à l’état, et aucunement au peuple que l’état est censé servir. La vérité est que l’état est à son propre service. Il produit des interdictions arbitraires pour scinder le peuple qu’il contrôle en groupes d’intérêts opposés (selon le vieux principe : diviser pour mieux régner), et réinvestit ses bénéfices dans une propagande massive pour déguiser sa forfaiture.
A suivre...

Protéger les naïfs : est-ce possible ?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'examine à présent l'idée selon laquelle il est possible de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

La triste vérité, c’est qu’on ne peut pas empêcher les gens de faire des conneries. A la limite, on ne pourra jamais empêcher les gens de se suicider. Si on empêche une connerie, les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société en feront une autre. Cela revient à faire un choix entre des conneries permises et d’autres qui ne le sont pas. Mais à partir du moment où la pire des conneries, qui est le suicide, sera toujours possible, ce choix est purement arbitraire, et on ne peut pas dire qu’on empêche les grosses conneries pour ne permettre que les petites.

D’ailleurs, une société où le suicide serait interdit serait une société infiniment triste. Les esclaves n’avaient pas le droit de s’auto-mutiler. Un soldat assujetti aux ordres de ses officiers n’a pas le droit de se suicider non plus. Ce sont là les deux conditions humaines qui représentent la négation parfaite de la liberté. La liberté, c’est aussi la liberté de faire des conneries.

En général, ce sont les sociétés les plus sévèrement contrôlées, c’est-à-dire celles où les gens ont le moins le droit de faire leurs propres conneries, qui ont le taux de suicide le plus élevé.

En allant un cran plus loin, si on veut le modèle d’une société où le suicide est non seulement interdit mais impossible, il y en a un seul : l’enfer décrit par Jean-Paul Sartre dans sa célèbre pièce de théâtre "Huis Clos". Même battre des paupières pour se reposer un instant des tourments de l’enfer était impossible.

Si donc on reconnaît que disposer librement de son corps est une condition fondamentale de la dignité humaine, ce qui implique de pouvoir en user pour le bien ou le mal, le développer ou le meurtir, alors a fortiori les gens peuvent faire les autres conneries de moindre importance qui ne mettent en danger que les biens matériels en leur possession.

De plus, il est complètement impossible de juger de manière objective du caractère inutile, défectueux ou nocif d’un produit ou d’un service. Un placébo, par exemple, est inutile parce qu’il ne contient aucun médicament actif, et pourtant il guérit certains malades par un effet purement psycho-somatique. L’espérance mathématique de gain au loto est négative, et pourtant ça donne un peu de joie et d’excitation aux gens qui n’en ont pas d’autre. Transpercer ses organes génitaux avec des petits bijoux est nocif, et pourtant beaucoup de jeunes adorent ça. On pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Pour déterminer si l’interdiction de telle ou telle transaction commerciale protège le client (qu’on suppose naïf), ou au contraire lui nuit, il faudrait lire dans son âme. On ne sait pas pourquoi les gens font ce qu’ils font. Il faudrait être Dieu pour en juger. Or aucun homme et aucune collectivité d’hommes ne peut se prendre pour Dieu. Ça serait fou et dangereux.

Cette attitude présuppose que celui qui porte le jugement est omniscient et supérieur au client dit « faible et naïf ». C’est une négation profonde du principe d’égalité auquel les Français, et surtout les agents de l’état, se disent si attachés. Et pourtant il faut bien être supérieur pour juger qu’un autre est incapable de savoir ce qui est bon pour lui. L’état ne peut pas se positionner par rapport à ses administrés comme un père vis-à-vis de ses enfants en bas âge, ce serait profondément insultant et infantilisant. Les membres de l’appareil d’état sont des hommes comme les autres, ni plus sages ni plus justes, et le fait d’avoir passé un concours de fonctionnaire ou gagné une élection ne leur confère aucun pouvoir divinatoire surhumain.

A suivre...

La chasse au client

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'analyse à présent l'idée selon laquelle les industriels et commerçants tendriaent des pièges habiles à leurs clients. C'est-à-dire qu'ils auraient recours au mensonge, à la tromperie et à la fraude comme pratiques courantes.

Mais la vérité, c'est qu'aucune entreprise ne peut durablement de fonder sur le mensonge et la fraude. Si un fournisseur A passe un contrat avec un client B, que B paie le prix spécifié dans le contrat, mais que A ne délivre pas le service ou le produit spécifié dans le contrat, A doit réparation à B. Il y a tromperie sur la marchandise, ce qui n’est en rien différent d’un vol. Les voleurs et autres agresseurs contre la propriété privée d’autrui doivent être forcés à compenser leurs victimes.

Aucune relation humaine durable ne peut être fondée sur le mensonge et la fraude. Tôt ou tard, les victimes s’en aperçoivent et demandent justice. A ce moment-là, le fraudeur voit sa capacité à faire des affaires singulièrement réduite. Si la fraude est suffisamment importante, l’entreprise fait faillite. Les actionnaires n’aiment pas ça du tout. Ils découragent ce genre de comportement de la part du PDG et de tous les autres employés. Ils veulent des affaires stables qui doivent leur succès à la satisfaction des besoins des clients, et non à un mensonge susceptible d’être découvert à tout instant.

Le client n’est pas un gibier qu’on prend au piège, et le marchand n’est pas un chasseur habile. Cette analogie de violence physique est particulièrement inappropriée pour décrire une relation entièrement consensuelle. En effet, personne ne force le client à acheter ni le marchand à vendre.
A suivre...

Les vendeurs se foutent des acheteurs

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'examine à présent l'idée selon laquelle les industriels et commerçants agiraient sans considération pour l'intérêt de leurs clients.

Le point faible de cette théorie c'est que, sans client, l’entreprise fait faillite du jour au lendemain. Il faut donc satisfaire le client. La vérité du secteur marchand, c’est que le client est roi. Quiconque ignore ce principe fondamental court à sa perte.

Les clients n’aiment pas se séparer de leur argent. D’ailleurs, pour provoquer la chute d’une entreprise, les clients n’ont pas beaucoup à lutter : il leur suffit de rester chez eux, sans faire l’effort de se déplacer et d’aller faire leurs courses dans cette entreprise. Pour que les clients sortent leur porte-monnaie, il faut vraiment qu’ils le veuillent. Il faut qu’au moment de l’acte d’achat, ils pensent que c’est dans leur intérêt propre de faire cette transaction. Le client achète uniquement si l’usage qu’il fera du produit ou du service lui semble préférable aux autres usages alternatifs auxquels il aurait pu affecter son argent. Les industriels et commerçants qui agissent sans considération pour l'intérêt de leurs clients se retrouvent au chômage.

La première préoccupation d’un industriel ou d’un commerçant est donc d’agir dans l'intérêt de son client, tel que ce client lui-même le définit au moment de l’acte d’achat.

Qui mieux que le client lui-même peut définir ce qui est son intérêt propre ? Je n’ai pas de fenêtre sur l’âme humaine. Je ne peux pas savoir les motivations secrètes qui poussent un client à agir. Et même si je le savais, au nom de quoi passerais-je jugement ? Personnellement, je ne veux certainement pas qu’on me dire ce que je dois acheter, ou même ce que je dois faire. Je revendique la liberté de prendre mes propres décisions et d’en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises. Je ne suis pas un enfant !

De plus, à quel autre moment le client doit-il évaluer son intérêt propre, sinon au moment de l’acte d’achat ? Comme on dit : avant l’heure, c’est pas l’heure ; après l’heure, c’est plus l’heure. Avant l’achat, le client a le temps de changer dix fois d’avis. Après l’achat, il va soit regretter son acte, soit s’en féliciter. Il ne peut pas savoir à l’avance. Il prend ce risque, et il l’assume. Cela s’appelle être responsable de ses propres actes. Si je ne suis pas responsable de mes actes, je ne suis pas un homme, et je ne peux pas vivre en société. Les adultes déclarés irresponsables sont enfermés dans un asile. On les relâche quand ils ont convaincu les psychiatres qu’ils peuvent se conduire en public de manière responsable, pas avant. Et c’est tant mieux.

En conclusion, le fait que les industriels et commerçants agissent dans l'intérêt de leurs clients, tels que ces clients eux-mêmes le définissent au moment de l’acte d’achat, est tout à fait nécessaire et conforme à la nature de l’homme et de la société.
A suivre...

L'obsession du court terme

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, je me tourne maintenant vers l'idée selon laquelle les industriels et commerçants seraient motivés uniquement par une logique de profit immédiat. C'est-à-dire qu'ils auraient une vision à court terme au detriment du long terme.

Cette idée est erronnée parce que le but premier d’une entreprise, c’est de survivre. L’entreprise sacrifie toujours les profits à court terme afin d’assurer sa survie à long terme. Cela s’appelle investir. La raison est que l’entreprise appartient aux actionnaires, qui la contrôlent via le conseil d’administration. La valeur de leurs actions est égale à la somme de tous les profits futurs. Donc à chaque fois qu’ils sacrifient des profits immédiats pour effectuer un investissement judicieux qui accroîtra les profits futurs par un montant supérieur au coût de l’investissement, leurs actions montent.

C’est le principe de la propriété privée. Si tu es propriétaire de quelque chose, tu fais l’effort d’en prendre soin aujourd’hui, parce que tu en seras encore propriétaire demain. C’est pour ça que tu ne laisses pas traîner les ordures ménagères dans ta chambre : parce que demain ça va sentir mauvais. Donc seuls les propriétaires peuvent avoir une vision à long terme.

Par contraste, les fonctionnaires et les hommes politiques ne peuvent pas avoir de vision à long terme, parce qu’ils ne sont pas propriétaires de la France. Ils n’en ont la jouissance que de manière temporaire. Donc ils sacrifient le stock de capital civilisationnel accumulé depuis des millénaires pour des bénéfices de court terme. C’est exactement le contraire de ce qu’on professe dans les milieux bien-pensants.
A suivre...

Tout pour le profit

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'examine ici l'idée selon laquelle les industriels et commerçants seraient motivés uniquement par une logique de profit maximum. C'est-à-dire que la motivation financière écraserait toutes les autres.

En réalité les employés des entreprises privées ne sont pas motivés uniquement par l’argent, pas plus que les autres hommes. L’argent est une source de motivation parmi d’autres, dont l’importance relative fluctue au gré des individus et des circonstances. Il arrive très souvent qu’un travailleur du privé refuse un emploi mieux rémunéré parce qu’il préfère un autre emploi moins rémunéré, soit parce que ça l’intéresse plus, soit parce qu’il préfère la culture de la compagnie, soit parce qu’il croit aux produits et aux services qu’il contribue à créer ou à commercialiser.

En fait, un travailleur qui va bosser tous les matins uniquement pour l’argent est un homme profondément malheureux. C’est quelqu’un qui n’aime rien dans son boulot, et donc il le fait mal. Il aura une carrière peu brillante. Souvent ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux qui étaient passionnés par ce qu’ils faisaient, et pour qui l’argent n’est venu qu’après-coup. Et cela, à tous les échelons de la compagnie, de l’employé le plus humble jusqu’au PDG et au conseil d’administration.

Je ne dis pas que l’argent n’est pas important, mais juste que c’est inhumain d’avoir une passion exclusive (l’argent ou une autre) à laquelle on sacrifie toutes les autres dimensions. Si on part du principe que ceux qui bossent dans le secteur privé sont par définition inhumains, si on les démonise a priori, c’est sûr qu’on va aboutir à de drôles de conclusions. Mais ces conclusions n’auront aucun rapport avec la réalité.

Pour toucher du doigt le caractère étrange de cette supposition, imaginez que vous réunissez dix personnes autour d’une table. Est-ce qu’il est possible qu’une seule et même chose les motive tous les dix ? Non ! Untel veut être célèbre, tel autre veut être riche, un troisème veut être intelligent, un quatrième du pouvoir, le cinquième veut travailler le moins possible, le sixième veut juste être heureux dans la vie, le septième met sa famille en premier, le huitième veut sauver des vies humaines, le neuvième veut répandre le bien, et le dixième ne sait pas ce qui le motive. Les êtres humains sont tous fondamentalement différents les uns des autres, et il n’y en a pas deux qui aient la même opinion. Il est donc inimaginable que les 16 millions de gens qui travaillent dans le secteur marchand en France puissent être motivés par un seul et même objectif à l’exclusion de tout autre.

Quant au mythe selon lequel les hommes politiques et fonctionnaires, eux, ne considèrent pas leur intérêt individuel et agissent uniquement pour le bien public (en supposant qu’un tel concept puisse être défini), il a été définitivement explosé par la théorie des choix publics de James Buchanan, prix Nobel d’économie 1986. C’est un mythe essentiellement propagé par les institutions d’enseignement contrôlées par des fonctionnaires, et on voit bien pourquoi. Si on part du principe que ceux qui bossent dans le secteur public sont des saints, c’est sûr qu’on va aboutir à de drôles de conclusions. Mais ces conclusions n’auront aucun rapport avec la réalité.

Gallatin







Réponse d'Emmanuel:



Pour résumer mon état d'esprit après lecture de ton article sur l'intérêt financier: "Touché mais pas coulé".

« Souvent ceux qui ont eu le plus de succès sont ceux qui étaient passionnés par ce qu’ils faisaient, et pour qui l’argent n’est venu qu’après-coup. » Entièrement d’accord, c’est une caractéristique fréquente chez la plupart des patrons d’entreprise que j’ai côtoyé. Cela dit c’était rarement des philanthropes.

Certains systèmes deviennent néanmoins des machines où le seul et unique critère est l’argent. Je conseille vivement de voir le documentaire « Sicko » de Michael Moore notamment pour l’audition (par une commission américaine) d’une femme médecin qui explique que son travail dans une compagnie d’assurance était de refuser la prise en charge des soins des assurés. Son avancement était lié aux résultats financiers obtenus, c'est-à-dire à l’argent non dépensé. Visiblement, le fait avoir accéléré la mort de nombre de ses assurés n’a pas rendu ce médecin heureux mais il s’est accommodé du système pendant bien longtemps. Et une immense majorité de ces collègues s’en accommode toujours si l’on juge les résultats financiers des compagnies d’assurance américaines.

En France il a fallut 29 années pour que l’amiante soit finalement interdite. Les résistances des entreprises concernées malgré les évidences sont un autre exemple de cet engrenage financier qui rend une activité à proprement parler criminelle.

Les fonctionnaires bien évidemment sont eux aussi parfois soumis à ces systèmes qui les font arbitrer contre l’intérêt public. Et je ne parle même pas ici des mécanismes de corruption.

Prenons l’exemple de la vaccination en France. Je ne m’étendrai pas ici sur l’inutilité et la nocivité des vaccins (c’est un avis personnel), sujet tabou au pays de Pasteur. Mais il convient de remarquer que la France continue d’obliger les nourrissons à recevoir 4 vaccins, alors que la plupart des pays européen ont reconnu la liberté de vaccination (certains pays ont même interdit des vaccins autorisés en France). Ces pays ne sont pas plus touché par des maladies graves que la France. Mais la France est le premier pays producteur de vaccin au monde. C’est notre camembert au lait cru médical. On n’y touche pas. Mieux on le subventionne au détriment de la santé des individus. Dans ce cas les entreprises poussées par leur propre intérêt mercantile, instrumentalisent le pouvoir régulateur de l’Etat pour maximiser leurs profits (cela me fait toujours bizarre d’utiliser une dialectique marxiste!) sans considération des besoins réels des clients.

Une digression au passage sur les fonctionnaires : un système peut aussi leur faire prendre des décisions contraires au bien public par soumission à des critères idéologiques. On pense à l’affaire du sang contaminé. Pour ne pas « discriminer » les prisonniers, on a sciemment continué à prélever du sang infecté du virus HIV. Dans ce cas c’est la pression idéologique du système qui a primé.

En conclusion, le terme « uniquement » pour qualifier les motivations financières des entreprises et entrepreneurs est sans conteste exagéré, mais il reste que certaines entreprises et certains entrepreneurs sont ou deviennent guidés uniquement par des considération mercantiles.

Le fait de dire qu’il existe naturellement d’autres motivations que l’argent, ce qui est vrai, n’enlève rien au fait que certaines personnes ou organisations ont pour unique motivation – et principal critère d’évaluation – l’argent. C’est un ensemble de facteurs qui créent un système ; ce système, une fois mis en place, devient le référent au détriment du bon sens naturel.

Refuser au nom d’un principe de se protéger d’une réalité dans certains cas précis me semble relever de l’angélisme, compréhensible pour un vieux professeur germanique dans son bureau, moins pour des responsables politiques (noter le mot « responsable »). Le monde est imparfait. Dans un monde sans régulation, les plus forts, les plus malins vont très souvent chercher à abuser des plus faibles, des gogos. C’est humain. Par nature ces régulations sont imparfaites ; elles sont créées et appliquées par des humains, pire des fonctionnaires (c’est une blague… pas la peine de réagir sur ce propos), mais ne sont-elles préférables au vide, lui-même imparfait.

Un dernier mot pour parler d’expérience personnelle : ayant passé beaucoup (trop) de temps en Chine ces dernières années dans des usines, tout consommateur conscient devrait allumer un cierge pour remercier l’Etat français des normes obligatoires concernant les produits de grande consommation.

Emmanuel.


La suite du débat ici.
A suivre...

Du rôle régulateur de l'état

Emmanuel, qui a créé le premier blog français sur Ron Paul, un candidat à l’investiture du parti républicain pour les élections présidentielles américaines de 2008, m’a envoyé un message récemment. Quand on sait que Ron Paul veut que l’état fédéral américain arrête de faire ce qui n’est pas explicitement autorisé par la constitution américaine, c’est-à-dire 90% de ce qu’il fait actuellement, on imagine qu’Emmanuel ne doit pas être un défenseur de l’étatisme envahissant... Dans ce message, il défend néanmoins l'existence de l'état pour son rôle régulateur.

J’ai du mal à envisager le non interventionnisme absolu de l’Etat. En pratique et pour donner un exemple, je suis ravi qu’en France l’Etat interdise la publicité pour les médicaments (ceux remboursés par la sécu me semble t-il). Cela me désespère toujours aux Etats-Unis de voir des publicités qui passent en boucle pour suggérer au téléspectateur que s’il ressent tel symptôme, c’est peut être parce qu’il a telle maladie, mais que miracle ce médicament va lui régler son problème, et qu’il lui suffit d’en parler à son docteur… Résultat, les américains sont persuadés qu’il existe une pilule miracle à tous leurs problèmes sans avoir à remettre en cause leur comportement. C’est humain… En conséquence, ils avalent des médocs qui masquent temporairement un problème, mais en créent automatiquement un autre en réaction, qui nécessite une nouvelle pilule…

Je pense à de nombreux exemples où l’Etat peut et doit avoir un rôle régulateur, et j’ai du mal à articuler cela avec le libéralisme / libertarianisme…

Autre exemple de régulation heureuse: En matière bancaire, l'encadrement des organismes de prêt à permis d'éviter en France des emballements suicidaires du type "subprime loans" aux Etats- Unis.

Cette objection est intéressante, et il y a sûrement beaucoup d’autres lecteurs qui pensent pareil. Je vais donc y répondre en détail. Emmanuel résume son point de vue avec ces mots:

On s'aperçoit que ces législations régulatrices ont pour effet de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société pour déjouer les pièges habiles des industriels et commerçants motivés uniquement par une logique de profit maximum et immédiat sans considération pour l'intérêt de leurs clients.

Cette phrase me semble particulièrement bien écrite, donc je vais me concentrer sur elle. Elle contient un certain nombre de suppositions :

  1. les industriels et commerçants sont motivés uniquement par une logique de profit maximum (la motivation financière écrase toutes les autres);

  2. les industriels et commerçants sont motivés uniquement par une logique de profit immédiat (vision à court terme au detriment du long terme);

  3. les industriels et commerçants agissent sans considération pour l'intérêt de leurs clients;

  4. les industriels et commerçants tendent des pièges habiles à leurs clients (mensonge, tromperie, fraude);

  5. il est possible de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société;

  6. il est désirable de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société;

  7. le gouvernement est le mieux placé pour protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société;

  8. les législations régulatrices réussissent à protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société (les régulations atteignent le but qu’elles se donnent).

Or, chacune de ces propositions est fausse. J'ai rédigé une série de billets qui les examinent une par une. On peut y accéder en suivant les liens contenus dans chacune des 8 propositions énumérées ci-dessus. Je n'ai pas inventé tout ça dans ma petite tête en cinq minutes, c'est extrait de livres bien plus scientifiques et rigoureux écrits sur le rôle de l'état par Ludwig von Mises, Murray Rothbard et Hans-Hermann Hoppe. Bien sûr, j'invite ceux qui veulent poster des commentaires (sérieux, comme ceux d'Emmanuel) à continuer le débat s'ils apportent des contre-arguments pertinents.
A suivre...

Surnaturel et collectivisme

Prenons le problème de l’état à rebours. Plaçons-nous du point de vue non des exploités que nous sommes, mais de celui de nos ennemis les exploiteurs.

Imaginons qu'un denommé Alexandre dise à Boniface : « Voilà, maintenant tu travailleras pour moi et obéiras à tous mes ordres. » Clairement on peut s’attendre à ce qu'Alexandre ait besoin de recourir à la violence pour contraindre Boniface à se soumettre, qu’il faille qu’il soit plus fort et lui fasse physiquement peur. C’est le modèle social de la démocratie athénienne et de la république romaine, dont l’économie était fondée sur l’esclavage et le fouet.

Néanmoins la violence physique, ça n’est pas la panacée. C’est dangereux : Alexandre pourrait se blesser au combat, ou infliger à Boniface des blessures susceptibles de diminuer sa capacité productive. Que vaut un esclave mort ?

Alexandre doit donc trouver un moyen de leurrer Boniface, de diminuer sa résistance psychique, de le convaincre d’être un esclave volontaire. Si tout ce qu’il a trouvé c’est de dire : « tu m’obéiras parce que j’ai envie qu’il en soit ainsi », ça risque de ne pas aller loin. En effet, Boniface est capable de retourner l’argument et de demander pourquoi c’est lui qui doit obeir à Alexandre et non le contraire. A ce moment-là, Alexandre sera coincé. D’où la nécessité d’invoquer un argument plus subtil.

La première idée est d’invoquer des forces surnaturelles : « Tu m’obéiras parce que Dieu en a décidé ainsi. » Encore faut-il que Boniface croie en Dieu, respecte les prêtres, et que ces mêmes prêtres aient oint Alexandre et ses aïeux, chantent ses louanges à l’église tous les dimanches. Il va falloir qu'Alexandre partage le bénéfice de la souveraineté avec le clergé. C’est faisable pour un temps. Ce petit arrangement entre amis a fait les beaux jours de la dynastie capétienne.

Mais un de ces quatre matins, Boniface cessera de croire en Dieu, ou de croire que Dieu a oint Alexandre. Ce jour-là, la monarchie héréditaire de droit divin s’effondrera.

Alors que faire ? Si Dieu n’existe plus, s’il n’y a ni Paradis ni Enfer, je dois quand même trouver un argument pour convaincre Boniface de m’obéir, sans lui avouer que j’ai décidé qu'il devait m’obéir parce que ca m’arrangeait bien. Diantre, ce n’est pas facile... Il faut trouver quelque chose qui soit au-dessus de Boniface, mais qui ne soit ni moi, ni Dieu. Il ne reste pas grand-chose – si : les autres ! La voilà, la seule solution possible : dire que c’est parce que je parle au nom de tous les autres (non pas au nom d’un voisin particulier, mais au nom de l’humanité toute entière ou presque) que Boniface doit m’obéir.

Certes, il faudra justifier que je suis mieux à même d’interpréter la volonté des autres que Boniface, lui faire admettre que la volonté des autres existe, qu’il doit s’y soumettre, et que cette volonté exige qu’il obtempère précisément aux instructions qu’il me plaît de proclamer. Mais c’est quand même plus facile que de le frapper, de lui faire croire à des histoires surnaturelles, ou de lui avouer la vérité.

De cette analyse il ressort que les arguments collectivistes sont les seuls qui puissent générer un comportement d’esclave volontairement soumis maintenant que Dieu n’est plus à la mode. C’est tragique le nombre de gogos qui avalent de telles balivernes…

A suivre...

Qu’est-ce que le libéralisme ?

C’est l’idéologie politique qui a renversé les monarchies à la fin du XVIIIème siècle. Elle ne peut être comprise que dans le contexte de la monarchie. C’est une fille de son époque, et il est nécessaire de remonter aux sources pour la comprendre. Fort heureusement ce n’est pas difficile parce qu’elle a eu tellement de succès, faisant douter les monarques de leur bon droit à régner et à commander leur peuple, que ses réverbérations sont parvenues jusqu’à nous. Il faut juste la dépouiller de la gangue qui l’a entourée et qui a été rajoutée après-coup.

Pour bien apprécier son importance, souvenons-nous qu’une élite dominante n’abandonne jamais volontairement le pouvoir, tant qu’elle croit à sa propre autorité.

Une illustration de cette loi est l’abandon du pouvoir par le régime soviétique en 1989, qui n’a eu lieu que parce que le KGB, l’élite du parti communiste, s’était rendu compte que le produit intérieur brut de l’URSS était moins de 4% de celui des Etats-Unis. Cette constatation a validé une fois pour toutes la supériorité de la doctrine libérale dans le domaine de l’organisation économique. D’ailleurs, personne ne remet en cause aujourd’hui le fait que le meilleur moyen de fournir la population en papier-toilettes (pour prendre un exemple au hasard) est de permettre aux propriétaires des usines de papier-toilettes de se faire concurrence les uns aux autres afin de laisser les consommateurs récompenser financièrement les fournisseurs qui répondent le mieux à leurs besoins. Ce n’est pas d’avoir un monopole de la production du papier-toilettes confié à une usine nationalisée gérée « par le peuple et pour le peuple ».

Dans le domaine politique, c’est exactement pareil. Deux siècles auparavant, les élites qui gravitaient autour des monarques héréditaires se sont mises à douter de la légitimité de leur pouvoir. Les idées qui ont causé cette remise en question étaient les idées libérales dans leur dimension non pas économique mais politique. L’antériorité de cette révolution idéologique sur celle de 1989 témoigne de l’importance supérieure de la politique sur l’économie. Des idées aussi puissantes méritent d’être revisitées – quelles étaient-elles ?

Selon la Déclaration d’Indépendance Américaine du 4 juillet 1776, les hommes « sont doués par leur Créateur de droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.»

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 se porte garante de « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

Même Louis XVI, imprégné des valeurs de son époque, a dit : « Il y a quatre droits naturels que le prince est obligé de conserver à chacun de ses sujets ; ils ne les tiennent que de Dieu et ils sont antérieurs à toute loi politique et civile : la vie, l’honneur, la liberté et la propriété. »

On voit une confluence qu’on peut résumer ainsi, au-delà des variations de vocabulaire : l’homme possède 3 droits naturels qui sont la vie, la liberté et la propriété ; ils sont antérieurs et supérieurs à tout gouvernement instauré entre les hommes. L’objectif du libéralisme est de protéger ces droits naturels contre les abus du gouvernement.

Que l’état soit démocratique ou non n’y change rien : ce qui compte, c’est de se protéger contre lui. Le caractère démocratique d’un état n’est pas un excuse justifiant qu’il commette n’importe quel abus contre les droits naturels de ses citoyens, c’est un moyen pour empêcher que ces abus n’aient lieu. Si ce moyen échoue, le libéralisme recommandera l’adoption d’autres méthodes plus vigoureuses, ce qui impliquera l’abandon du système démocratique standard. Le libéralisme peut donc s’opposer à la démocratie.

Les politiques libérales classiques du XVIIIème siècle :

  1. droit de vote,

  2. liberté d’expression,

  3. constitution limitant le pouvoir de l’état sur le citoyen,

  4. séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire,

sont évidemment conçues avec un seul objectif : protéger les droits naturels des hommes contre les abus de l’état.

Ont-elles fonctionné comme prévu ? Non. L’histoire sanglante du XXème siècle en est la preuve. Pas la peine de faire un dessin.

Pourquoi pas ? Une analyse théorique permet de mettre à jour certaines failles structurelles :

  • Le fait que les gouvernants n’aient le pouvoir que jusqu’à la prochaine élection et ne puissent le léguer en héritage à leurs enfants rend leur horizon de décision plus court, et ils seront systématiquement incités à sacrifier le long terme au court terme.
  • Ce système institutionnalise une compétition entre les producteurs d’idéologies collectivistes susceptibles de leurrer les masses, qui fait que les menteurs les plus accomplis sont ceux qui parviennent au sommet de l’état.
  • La libre entrée dans la fonction de gouvernement permet de co-opter et de corrompre n’importe quel individu qui, par son talent, ses efforts et sa réussite pourrait sinon constituer une menace à l’institution.
  • L’argent des impôts peut être réinvesti par l’institution étatique dans la production d’idées destinées à faire croire à la majorité des gens que la servitude, c’est la liberté.

Devant ce constat d’échec, quelles autres mesures peut-on imaginer qui seraient plus efficaces ? Inspirons-nous du domaine où l’idéologie libérale a eu le plus de succès, parce que ses avantages sont les plus immédiatement mesurables : le domaine économique. L’économie en soi n’est pas le champ d’application le plus important des idées libérales, car la politique économique n’est pas plus importante que la politique étrangère, la politique sociale ou la politique culturelle. Néanmoins, comme c’est le domaine où la doctrine libérale a été la mieux comprise, elle constitue la meilleure source d’inspiration pour qui veut résoudre une question aussi épineuse que la remise en cause de la méthode démocratique pour atteindre les objectifs libéraux.

Laissons parler le grand théoricien libéral Gustave de Molinari :

S'il est une vérité bien établie en économie politique, c'est celle-ci :


Qu'en toutes choses, pour toutes les denrées servant à pourvoir à ses besoins matériels ou immatériels, le consommateur est intéressé à ce que le travail et l'échange demeurent libres, car la liberté du travail et de l'échange a pour résultat nécessaire et permanent d'abaisser au maximum le prix des choses.


Et celle-ci:


Que l'intérêt du consommateur d'une denrée quelconque doit toujours prévaloir sur l'intérêt du producteur.


Or, en suivant ces principes, on aboutit à cette conclusion rigoureuse:


Que la production de la sécurité doit, dans l'intérêt des consommateurs de cette denrée immatérielle, demeurer soumise à la loi de la libre concurrence.


D'où il résulte:


Qu'aucun gouvernement ne devrait avoir le droit d'empêcher un autre gouvernement de s'établir concurremment avec lui, ou obliger les consommateurs de sécurité de s'adresser exclusivement à lui pour cette denrée.



De cette analyse claire et compréhensible par tous, je déduis que les quatre politiques libérales classiques énumérées ci-dessus qui ont démontré leur incapacité patente à réaliser les idéaux libéraux de défense des droits naturels des hommes contre les abus de l’état doivent être remplacées par trois autres mesures plus vigoureuses et exemptes de failles théoriques structurelles :

  1. Droit d’ignorer l’état
  2. Droit de concurrencer l’état
  3. Droit de sécession illimité

Ces droits mettront en concurrence les fournisseurs de services de protection du droit de propriété opérant sur un même territoire, ce qui limitera leur capacité à violer les droits naturels des hommes qu’ils sont censés servir.

Voilà où nous en sommes. Il me semble que, dit comme ça, on peut difficilement contester que les méthodes de Molinari sont le meilleur moyen de mettre en œuvre les idéaux des révolutions françaises et américaine qui ont été trahis au fil du temps par la faillite des recommandations politiques libérales classiques.

De là à pouvoir renverser la vapeur avant qu’il ne soit trop tard, c’est une autre paire de manches.

A suivre...

Monarchie, Libéralisme & Collectivisme

La civilisation occidentale a vécu trois époques distinctes. La première, l’époque monarchique, s’étend grosso modo de l’an mil à la fin du XVIIème siècle. A cette époque, le principe d’autorité émanait du Dieu de la Bible et était investi dans la personne du roi, prince ou autre souverain héréditaire. Puis, avec la Glorieuse Révolution de 1688 en Angleterre, et la diffusion progressive à travers les élites des idées libérales, en particulier la théorie des droits naturels, s’ouvrit une époque libérale qui permit l’éclosion de la révolution industrielle.

Les penseurs de cette époque avaient correctement analysé les lois de l’organisation sociale, du moins en ce qui concerne la division du travail, les fonctions de négoce et d’import-export des biens de consommation, et l’activité productrice en général. C’est la doctrine du libre-échange, la lutte contre le mercantilisme, et une confiance illimitée en la capacité d’auto-organisation et d’auto-régulation des mécanismes économiques, tant que le souverain se garde d’intervenir.

Néanmoins, cette victoire de la pensée libérale sur le plan de l’organisation des relations consensuelles entre producteurs et consommateurs au sein du marché des biens, est doublée d’une erreur fondamentale dans la pensée politique du libéralisme. La relation politique entre les hommes est une relation de force, de contrainte, de coercition. Elle est donc par nature fondamentalement différente de la relation économique. On peut dire qu’elle se situe très exactement aux antipodes, qu’elle constitue la négation même de la relation économique mutuellement consentie.

Il serait donc erroné d’appliquer dans le domaine politique les mêmes recettes que celles qui ont si bien réussi dans le domaine économique: liberté totale, laisser-faire, confiance en la capacité des gens à s’auto-organiser. Les luttes pour la liberté d’opinion, la liberté de la presse, la liberté d’expression, la démocratie, le suffrage universel, qui constituent l’essence même de l’engagement politique des libéraux aux XVIIIème et XIXème siècles, vont donc dans le mauvais sens et sont en fait extrêmement dangereuses. En effet, elles ouvrent la porte grande ouverte à des formes de cœrcition politique infiniment plus perverses et violentes que le principe monarchique: les collectivismes.

On les a vus en germe dès le début de la Révolution Française. L’impulsion initiale de cette révolution était libérale, c’est le libéralisme qui a fait douter les élites au pouvoir autour du Roi, et Louis XVI lui-même, de la légitimité de leur autorité. Il faut savoir qu’une révolution ne peut se déclencher que si les élites doutent. Or, très rapidement, la vacance du pouvoir a laissé le champ libre aux collectivismes les plus horribles: ce fut la guerre civile de 1793 contre les Fédéralistes, le génocide vendéen de 1794, Robespierre et la Terreur, puis les conquêtes napoléoniennes si coûteuses en sang.

Dire que le Roi de France tenait son pouvoir de droit divin était un peu ridicule, quand on se souvient qu’il descendait de guerriers francs dont le seul mérite est d’avoir pillé les terres gallo-romaines, subjugué les paysans, massacré leurs chefs et inséminé leurs filles. La légitimité de la dynastie capétienne ne venait pas de là. Néanmoins, même d’un point de vue strictement libéral, Louis XVI aurait été acceptable s’il avait empêché ce massacreur de Robespierre d’arriver au pouvoir en chevauchant les idées du proto-communiste Jean-Jacques Rousseau (selon lequel les clauses du contrat social « se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté ») et de perpétrer un génocide contre le peuple de Vendée. Pour paraphraser un slogan d’actualité : « tout sauf Robespierre ! » Seulement voilà, les libéraux n’ont pas fait ce raisonnement et n’ont eu cesse d’affaiblir l’autorité du roi.

Finalement quand l’énergie des premiers collectivismes se fut tarie, victime des massacres qu’ils ont engendrés, il ne resta plus que le libéralisme qui avait donné le coup de pouce initial à cette révolution, la monarchie fut restaurée par Louis XVIII, et le seul gouvernement libéral que la France ait jamais connu fut formé.

Les collectivismes ne retinrent qu’une leçon de ce triste épisode: l’énergie de la violence est bien présente dans la folie des foules, mais il faut l’exploiter doucement, lentement, augmenter le débit progressivement, pour éviter qu’une orgie sanglante n’y mette un terme trop rapidement.

Les libéraux, surpris et choqués de l’échec de leurs idées généreuses sur le plan politique, petit à petit réalisèrent qu’ils étaient confrontés à une nouvelle puissance maléfique capable de déchaîner ce qu’il y a de plus vil dans le cœur des hommes, ce démon collectiviste qu’ils avaient eux-mêmes contribué à créer en sapant les justifications morales de la monarchie qui – malgré tous ses défauts – avait une bien belle qualité, celle d’occuper le terrain et donc d’empêcher l’expansion du démon.

Les plus lucides d’entre eux essayèrent de corriger le tir, de trouver où était l’erreur fatale qui avait fait d’une idéologie si utile pour analyser les relations humaines consensuelles, une doctrine si mauvaise pour les relations humaines coercitives. Mais cet exercice était intellectuellement très difficile. Ils étaient confrontés à un phénomène nouveau dans l’histoire du monde, et ils n’avaient pas le bénéfice des siècles d’incubation qui avaient précédé la naissance des idées libérales économiques. Ils ont tous échoué par manque d’audace, sauf un.

Gustave de Molinari, en 1849, a osé penser l’impensable: quelles que soient les limites qu’on veuille bien imposer au gouvernement (constitution, séparation des pouvoirs, élection du chef par le peuple), tant qu’un gouvernement – quel qu’il soit – détiendra le monopole de la production de la sécurité sur un territoire donné, il en abusera, ce qui tôt ou tard mènera à une forme intolérable de tyrannie. Le volet politique du programme libéral n’est donc pas, contrairement à ce qu’ont pensé tous les libéraux avant lui, de concocter une bonne petite constitution qui garantisse des élections démocratiques et la séparation des pouvoirs, pose une limite aux domaines de compétence de l’état, et garantisse certaines libertés civiques (d’expression, de la presse, etc.), mais purement et simplement de permettre à tout homme qui le désire de se désabonner de l’état et de se fournir en services de protection du droit de propriété et de résolution des désaccords auprès de toute autre organisation de son choix, et ce, sans déménager. En résumé, Molinari a découvert que seuls le droit d’ignorer l’état et le droit de concurrencer l’état étaient à même de garantir les droits naturels des individus contre le risque d’abus étatique. En particulier, ces droits impliquent le droit de sécession illimité de toute région, département, canton, commune, quartier, pâté de maison, et en fin de compte de toute maison. Molinari a été le premier, et de son vivant est resté le seul, à avoir corrigé l’erreur fondamentale des théories politiques libérales antérieures.

S’il fallait résumer la théorie politique libérale en peu de mots, on pourrait dire: la valeur la plus précieuse au monde est la liberté, et il faut à tout prix protéger la liberté des hommes contre la tendance intrinsèque de l’état à commettre des abus. Enoncée comme ça, en termes de valeurs et d’objectif, cette vision est celle de Voltaire et Montesquieu autant que celle de Molinari. Je pense que tout le monde aujourd’hui peut y souscrire.

Qui dit objectif dit moyens et méthodes pour y arriver. Là, il y a désaccord. D’un côté, il y a les chevaux de bataille libéraux classiques déjà évoqués (droit de vote, constitution, séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire, principe de subsidiarité, liberté d’expression). De l’autre, il y a le droit d’ignorer l’état, le droit de concurrencer l’état et le droit de sécession illimité. Il semble relativement évident que le premier groupe de méthodes est plus doux, moins radical que le second. Il semble aussi évident qu’il n’a pas suffi.

Franklin D. Roosevelt a réussi à prohiber la consommation d’alcool sur le territoire américain, une réduction de la liberté individuelle que même le plus absolu des monarques, Louis XIV, n’aurait jamais osé contempler. Quand on se souvient que les hommes politiques d’il y a un siècle s’indignaient contre l’instauration de l’impôt sur le revenu parce qu’ils craignaient que l’état les augmente progressivement jusqu’à des taux (je cite) “confiscatoires de 3%, voire même 5%”, on se dit que les contribuables sont tombés bien bas. Au nom de toute une ribambelle de collectivismes, les attaques les plus virulentes contre la liberté ont été perpétrées.

Ce qui est tragique, et c’est la tragédie du libéralisme, ainsi que la tragédie de la civilisation occidentale, c’est que le premier groupe de méthodes, qui est le seul à avoir été mis en pratique à grande échelle à l’époque moderne, engendre les effets exactement inverses des objectifs qu’il s’est donnés.

C’est parce que les penseurs qui l’ont prôné ont oublié une caractéristique réelle de la nature humaine: la possibilité que les éléments les plus nombreux et les moins intelligents d’une foule puissent être manipulés par des opportunistes sans scrupules afin de commettre des actes immondes. C’est ce qu’on appelle le délire collectiviste ou la folie des masses. Cette tendance est réelle et universelle, et il est inutile d’essayer de nier son existence. Construire une théorie politique sans prendre en compte ce fait est suicidaire. Ce fut la tragédie du libéralisme jusqu’à Molinari. Cette erreur intellectuelle a jeté l’Occident dans une spirale infernale à laquelle il pourrait très bien ne pas survivre. Elle est capable de détruire mille ans de progrès et d’efforts cumulés.

En ouvrant la porte aux collectivismes, le libéralisme politique première mouture a pratiquement tué la civilisation qu’avait construite la monarchie. Seul le libéralisme politique à la sauce Molinari pourrait sauver cette civilisation, mais encore faudrait-il pour cela que ses idées aient un impact au-delà d’un cercle très restreint de philosophes honnêtes et lucides.

Or le seul fait qu’une théorie soit correcte ne garantit pas son acceptation immédiate. Ptolémée a dit que la terre était ronde dès l’Antiquité, et pourtant tout au long du Moyen-Age les gens ont continué de penser qu’elle était plate. C’est précisément parce que les idées de Molinari n’ont pas été mises en pratique que les collectivismes en tous genres ont réussi à faire du XXème siècle le plus sanglant de l’histoire de l’humanité, et de loin. Rappelons que 200 millions de personnes ont été tuées par leur propre gouvernement au XXème siècle. Les collectivismes ont d’ailleurs bien compris que leur survie dépendait de l’étouffement des idées libérales, donc ils ont sagement réinvesti l’argent des impôts dans la production d’usines à idées anti-libérales destinées à noyer le poisson et disséminer dans la population crédule les mythes collectivistes les plus mensongers. Ce sont les universités d’état, les média contrôlés plus ou moins directement par la pensée unique étatiste, et plus généralement tous les faiseurs d’opinion accrédités. Ils ont beau jeu, comme ils sont nourris en fin de compte par le budget de l’état, de discréditer toute pensée non conforme aux dogmes collectivistes du jour, y compris la pensée libérale, et surtout la théorie politique libérale correcte de Molinari.

Maintenant que les collectivistes ont arraché la civilisation occidentale aux mains des rois qui l’avaient construite grâce aux libéraux et à leur erreur politique initiale, ils ne la lâcheront que quand ils l’auront tuée. Comme ils vivent sur elle comme des parasites, ils suivront leur hôte dans la tombe, à moins qu’ils n’aient réussi d’ici là à contaminer une autre civilisation énergique, comme la civilisation islamique ou la civilisation chinoise.

Le collectivisme est le SIDA de la civilisation.

Voilà toute l’histoire de la civilisation occidentale. Dans ces conditions, son déclin et sa disparition sous le poids des collectivismes qu’elle a engendrés elle-même est inéluctable à court terme. Elle aura eu de beaux jours dont, on l’espère, les civilisations futures conserveront un peu le souvenir.

A suivre...

Déclinisme

Je voudrais remercier Nicolas de son excellent commentaire sur l'article où je vois un risque de faillite et de guerre civile dans le futur de la France. Il a stimulé ma réflexion, donc j'ai décidé de lui répondre par le présent article plutôt que par un commentaire lapidaire. Ignorant le nom de famille de cet internaute, je lui répondrai aussi sérieusement que si c'était Baverez ou Sarkozy.

Nicolas, notre divergence de vue n'est pas à l'échelle d'un ou même deux quinquennats, et ne concerne pas les possibilités de réforme ouvertes par l'élection de Nicolas Sarkozy. Nous sommes tous deux d'accord que l'état français n'est pas à sa place et qu'il est possible de l'y remettre comme cela a été fait au Royaume-Uni sous les gouvernements de droite de Margaret Thatcher puis John Major. Nous avons une bonne chance de faire revenir la France dans la moyenne européenne, ce qui arrêterait l'exil des jeunes Français qui veulent réussir vers Londres, et celui des vieux Français qui ont réussi vers Bruxelles. Ces réformes ne sont pas gagnées d'avance car les forces sclérosantes sont puissantes et bien organisées, et nul ne sait si le président Sarkozy aura suffisamment de volonté, de talent... et de chance (car il en faut!) pour les vaincre. Mais pour une fois je suis prêt à être optimiste, donc supposons que tout se passe comme nous le désirons tous deux.

Nicolas, notre divergence de vue porte sur ce qui se passera après. Vous, vous prédisez le début d'un cercle vertueux qui petit à petit tendra à éliminer tous les collectivismes forcés. Moi, je prédis un retour de balancier vers l’étatisme, et un retour à la tendance naturelle de l'interventionnisme, qui est d'étendre son champ d'action. Vous y voyez un espoir de résoudre les crises profondes engendrées par l'extension de l'état, j'y vois juste un moyen de retarder l'inévitable.

Pour bien recadrer les choses, le désaccord porte sur ce qui se passera dans 10 ans dans le cas hypothétique où le président Sarkozy tient ses promesses. C'est donc un débat assez philosophique... A moins d'avoir une boule de cristal, comment avoir une certitude? C'est aussi un débat assez éloigné des réalités présentes qui mettent la France en ébullition. On s'abstrait de la situation politique actuelle pour se projeter dans le futur conditionnel. Exercice périlleux s'il en est! Il faut une théorie de l'état, une théorie de l'histoire et une théorie de la démocratie pour raisonner à cet horizon-là. Il n'est même pas évident que ça soit bien utile ou urgent de trancher (en supposant que ça soit possible), puisqu'il y a des batailles immédiates à livrer pendant ce quinquennat.

Néanmoins je trouve ça intéressant, et je pense qu'un peu de réflexion fondamentale de temps en temps ne fait de mal à personne. Surtout quand ça touche à l'essence même de notre vision du monde.

Mes arguments sont:

  • Ce retour du balancier vers l'étatisme est exactement ce qui s'est passé au Royaume-Uni depuis que la gauche est revenue au pouvoir.
  • Tous les contre-pouvoirs autres que le chef de l'état (ou de gouvernement) sont structurellement biaisés en faveur de l'extension du rôle de l'état: journalistes, artistes, professeurs, fonctionnaires, assistés, partis politiques, syndicats, associations. Donc quand, par exceptionnel, la population excédée porte finalement au pouvoir un réformateur, il ne peut mettre en œuvre que des réformes à la marge qui remettent les contribuables au boulot, mais sans démolir les usines à gaz de l'étatisme. Par contre quand le chef de l'exécutif est un étatiste, ce qui est le plus fréquent, il a les mains libres pour augmenter l'interventionnisme tous azimuts.
  • En démocratie, le pouvoir politique n'a aucune incitation à résoudre les problèmes bien prévisibles qui balaieront le pays dans 20 ans. Pour peu que ces problèmes aient une grande force d'inertie, quand ces problèmes entreront dans le champ de vision des hommes politiques (mettons 5 ans avant la crise), il sera trop tard pour les résoudre. En Europe, je pense particulièrement aux problèmes de dette et de démographie. Aux Etats-Unis, il y a aussi le problème spécifique de leur armée qui est déployée partout dans le monde à grands frais pour supporter leur politique impérialiste.
  • L'histoire des démocraties occidentales depuis les années 1870 est celle de l'augmentation massive du pouvoir de l'état sur les individus, et il n'y a aucune raison que ce mouvement s'inverse de son propre chef autrement que de manière locale et temporaire.

Dans le cas de la France, ce que j'appelle "démolir les usines à gaz de l'étatisme", ce serait:
  1. ramener la part des dépenses publiques dans le P.I.B. du niveau actuel de 54% au niveau coréen qui est de 27%,
  2. confirmer la fin du monopole de la sécurité sociale inscrite dans les directives européennes,
  3. transformer le système de retraite par répartition en système par capitalisation comme au Chili,
  4. et mettre en place une politique d'immigration aussi stricte que celle de la Suisse.

Nous devrions être d'accord que ces quatre mesures seraient suffisantes pour désamorcer les deux bombes à mèche lente (endettement public et démographie) qui vont nous sauter à la figure dans à peu près vingt ans. Nous devrions être aussi d'accord que ces mesures ne sont pas politiquement réalisables par le président Sarkozy pendant ce quinquennat.

La question cruciale est: si le président Sarkozy réussit par ses réformes limitées à remettre les contribuables au boulot, cela créera-t-il un cercle vertueux qui aboutira à ces réformes? Nicolas, vous dites oui, et moi je dis non. A mon sens, l'effet net d'un quinquennat Sarkozy réussi sera principalement de réduire la pression réformatrice, de dégager des marges de manœuvre permettant de reprendre l'expansion de l'état, et d'éloigner la perception du danger.

Pour penser qu'il puisse en être autrement, il faudrait n'avoir pas intégré les leçons de la théorie des choix publics qui a valu à son fondateur James Buchanan le prix Nobel d'économie en 1986. Elle a démontré sans équivoque que l'être humain a le même comportement qu'il soit employé dans le secteur privé ou dans l'appareil d'état: dans un cas comme dans l'autre, il cherche à maximiser son avantage personnel. En particulier, l'idée selon laquelle les hommes d'état œuvrent pour l'intérêt général plutôt que pour leur intérêt personnel bien compris n'est qu'un mythe qu'ils propagent eux-mêmes.

D'où le retour de balancier que je prédis après, au moment précis où il faudrait poursuivre dans la voie de la réduction des interventionnismes pour enfin démolir les vraies usines à gaz. C'est pour cela que, même si le 6 mai m'a donné envie d'être relativement optimiste à court terme, je suis quand même décliniste à moyen terme pour la France et plus généralement pour l'ensemble des démocraties occidentales.

Quant au scénario particulier de la faillite, d'autres jouent de la boule de cristal mieux que moi, citons par exemple Philippe Jaffré et Philippe Riès dans leur livre Le jour où la France a fait faillite. Pour le scénario de la guerre civile, il y a un article en deux parties qui ne transpire pas la tolérance, c'est le moins qu'on puisse dire, mais qui est néanmoins bien argumenté. Pour la faillite et la guerre civile, il y a cet article écrit par quelqu'un qui a beaucoup lutté contre le monopole de la sécurité sociale.

Bien sûr ces scénarios-catastrophes présupposent que les dirigeants politiques seront incapables d'un sursaut avant que le point de non-retour ne soit atteint, et c'est plutôt à ce niveau-là que j'ai essayé de situer notre débat. Parler ainsi peut sembler paradoxal, au moment précis où 85% des inscrits ont donné un mandat clair de réforme à un homme de droite particulièrement énergique, mais je n'ai jamais craint de ne pas être à la mode.

Le thème de la faillite et celui de la guerre civile se rejoignent autour du dernier espoir auquel s'accrochent les élites au pouvoir: "les immigrés paieront nos retraites". Cette théorie a été définitivement discréditée par Martin Feldstein, professeur d'économie à Harvard. Ceci est pour moi le dernier clou dans le cercueil de la démocratie sociale en Europe, mais il faudra encore 20 ans pour que l'homme de la rue s'en rende compte.

D'ailleurs je vois dans la progression fulgurante des assauts contre des libertés individuelles qu'on croyait acquises depuis plusieurs siècles: caméras de surveillance, fichiers informatiques, lois contre la liberté d'expression, criminalisation des opinions dites "de discrimination", aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs en Europe, la preuve que les élites sentent bien que la situation risque de s'envenimer et qu'elles ont intérêt à renforcer leur arsenal répressif en prévision de la lutte à mort qu'elles auront à mener contre leurs propres contribuables.

Au début, j'étais un décliniste au premier degré, c'est-à-dire que je pensais que la France avait juste besoin d'une cure de thatchérisme. Puis je me suis demandé comment une démocratie avait réussi à créer tant d'étatisme, alors que c'est si clairement nuisible au pays. J'ai alors découvert une théorie de l'état selon laquelle l'interventionnisme partiel génère toujours plus d'interventionnisme, et une théorie de la démocratie selon laquelle ce régime sacrifie le producteur pour le non-producteur et le long terme pour le court terme. J'ai trouvé que c'était intellectuellement solide et que ça expliquait bien le monde tel que je le connaissais. Je suis alors devenu décliniste au second degré, c'est-à-dire que je pense que la démocratie sociale est destinée à disparaître à moyen terme aussi sûrement que l'était le communisme. Ce blog en général, et cet article en particulier, est simplement un effort pour traduire en termes concrets et actuels ces théories.

Pour moi, la solution ne peut passer que par un retour aux idéaux de la philosophie des Lumières, qui a découvert que chaque individu possède trois droits naturels antérieurs à toute loi politique: la vie, la liberté et la propriété. A mon avis, la république une et indivisible où les dirigeants politiques sont désignés à la majorité par le suffrage universel est une bien piètre traduction de ces idéaux. Le consentement à l'état, l'unanimité dans les décisions collectives, qui découlent pourtant des droits naturels, sont absents de la pratique démocratique actuelle. Concrètement, pour mettre en œuvre les idéaux de la philosophie des Lumières, il faudrait reconnaître à chacun le droit d'ignorer l'état ainsi que le droit de concurrencer l'état. En effet cela garantirait que l'état ne puisse pas violer les droits naturels des individus, car ceux qui ne sont pas satisfaits pourraient toujours ignorer l'état et s'organiser autrement. Ceci impliquerait en particulier un droit de sécession illimité. Il me semble que, si nous préparons le terrain intellectuel dès aujourd'hui, c'est le genre de régime qui pourra naître de la crise des années 2030, car tous les autres auront été essayés et discrédités. Ambitieux, je sais. Alors joignez-vous à nous, on ne sera pas de trop pour faire triompher la cause de la liberté.

A suivre...

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