Sécession

La cinquième et dernière méthode pour briser le monopole territorial de l'état, la plus indolore et celle prônée par Hans-Hermann Hoppe dans son article Contre le centralisme, est celle du droit de sécession de toute région, département, commune ou pâté de maison.

Ludwig von Mises, qu'on ne peut accuser d'être un anarchiste comme Rothbard ou Hoppe, l'a très bien décrit dans son livre Le Libéralisme (1927), chapitre 3 (la politique étrangère libérale), paragraphe 2 (le droit à l'autodétermination):

si les habitants d'un territoire donné, qu'il s'agisse d'un simple village, d'une région entière ou d'une série de régions adjacentes, font savoir, par un plébiscite librement organisé, qu'ils ne veulent plus rester unis à l'État dont ils sont membres au moment de ce choix, mais préfèrent former un État indépendant ou se rattacher à un autre État, alors il faut respecter leurs désirs et leur donner satisfaction.
La sécession la plus célèbre de l'histoire fut celle des Etats-Unis. La déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776 rédigée par Thomas Jefferson explique bien que le droit de sécession découle de la philosophie des droits naturels:
Lorsque dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l'ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l'opinion de l'humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation.

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.
La méthode de la sécession est la plus indolore parce qu'elle préserve la structure territoriale de base de l'état, qui nous est familière. Mais en donnant à chaque population administrée le droit de rejeter l'administration centrale, de s'en affranchir et de s'auto-organiser, elle empêche cette dernière d'abuser de son monopole. De plus, en favorisant l'éclosion de dizaines de milliers de petits états indépendants de la taille du Liechtenstein, Monaco ou Saint-Marin, elle réduira la coût de "voter avec les pieds", puisqu'il suffira de déménager de quelques kilomètres pour être mieux gouverné.

Finalement, cette méthode favorisera la diversité des formes de gouvernements. Ceux qui satisfont le plus leur population et attirent des producteurs de richesse se développeront à vitesse grand V, et leur succès fera des émules. C'est dans de telles conditions, avec des villes quasi-indépendantes et une multitude de petits souverains locaux, que l'Europe de l'an mil s'est mise à se développer plus vite que la Chine, qui jusqu'alors lui était supérieure à tous points de vue. Les fruits visibles de cette période de croissance soutenue aux siècles suivants furent la Renaissance, qui vit l'Europe rattraper la Chine, puis la révolution industrielle qui vit l'Europe nettement dépasser la Chine. La guerre de l'opium au XIXème siècle gagnée par les Européens prouva au monde entier cet état de fait. Pendant toute cette période, l'empire chinois, parti de plus haut mais engoncé dans un carcan bureaucratique extrêmement centralisé imposé par la classe des mandarins (qui ne sont pas sans rappeler nos énarques), a fait pratiquement du sur-place jusqu'à son inéluctable effondrement. Depuis les années 1980, c'est l'inverse.

Le droit de sécession est relativement bien établi, puisque même la Charte des Nations-Unies de 1945 proclame dans son premier article (paragraphe 2) le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Sans doute a-t-il été principalement appliqué aux colonies d'outre-mer, mais quelle est la différence avec les provinces de France métropolitaines conquises par la guerre, certaines fort récemment?

Une Europe en mille morceaux indépendants rendrait possible l'émergence de compagnies trans-nationales spécialisées dans l'application de la force (polices privées) et dans la résolution de conflits (cabinets d'arbitration privés). Chaque état souverain pourrait passer contrat avec l'une ou l'autre de ces compagnies, et le résilier à loisir si le rapport qualité/prix baissait, pour s'adresser à l'une de ses concurrentes. En effet, il peut exister des économies d'échelle dans la gestion des policiers ou des juges privés, ne serait-ce qu'en raison du savoir-faire technique requis, donc il est fort probable que ceux qui ont rempli ces missions efficacement sur un petit territoire donné voudront proposer leurs services, moyennant finances, à leurs voisins.

La sécession ne remettre nullement en cause l'esprit national, car cet esprit vit dans l'âme des gens, non dans le domaine d'action d'un chef d'état. Il est fait de coutumes, de goûts partagés, de communications. A une époque où ce qu'on appelle aujourd'hui l'Allemagne était divisée en 39 entités politiques indépendantes, Goethe, dans une conversation avec son secrétaire Eckermann, a fait l'éloge de l'unité économique et culturelle allemande, et a pressenti les conséquences désastreuses d'une unification politique.

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