Égalité ou Liberté

Les législateurs ou les révolutionnaires qui promettent en même temps l'égalité et la liberté sont des illuminés ou des charlatans.


Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), Maximes et Réflexions.
A suivre...

Propagandes

Jacques Ellul (1912-1994) est un universitaire bordelais. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il s’inscrit à l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (U.D.S.R.), parti politique de gauche dont le membre le plus célèbre fut François Mitterrand. Sociologue et historien du droit, son maître livre « La technique ou l’enjeu du siècle » (1954) connaît une renommée mondiale. Après mai 1968, il apporte son soutien aux objecteurs de conscience et aux militants antimilitaristes, et anime des groupes de jeunes non-violents auxquels participe notamment un certain José Bové.

"Propagandes" (1962, Armand Colin) de Jacques Ellul
Chapitre premier : Les caractères de la propagande
Section 2 : Les caractères internes
Paragraphe c) : Les courants fondamentaux de la société
Page 54, Jacques Ellul dit au sujet de la propagande :

Elle doit aussi refléter les particularisations locales, nationales. Ainsi, en France, il existe une tendance globale vers la socialisation, qui ne peut être remontée ni mise en question. La gauche est légitime. La droite est obligée de se justifier devant l’idéologie de gauche (à laquelle participent même les hommes de droite) ; et toute propagande est obligée pour réussir de contenir en elle les principaux éléments de l’idéologie de gauche, et doit les évoquer, sans quoi elle ne serait pas reçue.


A suivre...

Hérétique

Je suis arrivé à un âge où on a déjà un certain recul: on se souvient exactement comment les choses étaient il y a 30 ans, on voit comment elles sont aujourd’hui, et on peut faire la comparaison. J’ai aussi eu la chance de vivre dans 3 pays différents, pendant assez longtemps, et en étant assez immergé dans la vie locale pour pouvoir faire des comparaisons.

Tout cela fait énormément de données sur les êtres humains, la société, l’économie, la politique, etc. Une telle masse de données demande à être organisée, structurée. Elle demande d’être intégrée à un modèle de l’être humain, de la société, de l’économie, de la politique, de l’histoire, de la philosophie, etc.

Or, je n’ai pas fait qu’observer ce qui se passait autour de moi, j’ai aussi écouté les théories que l’on faisait à ce sujet. Tous les hommes politiques, tous les économistes exposent leur vision du fonctionnement de la société. Tous les journalistes d’opinion, les pamphlétaires, proposent des explications. Ces explications sont variées dans une certaine mesure, mais elles ont aussi – malgré leur diversité superficielle – certains présupposés en commun. Ces présupposés, rarement avoués explicitement mais bel et bien présents, sont en fait les marques caractéristiques de leur origine:

  • ce sont des explications de l’époque actuelle, pas d’il y a un siècle ou deux ou cinq (date);
  • ce sont des explications qui circulent dans les grandes démocraties occidentales développées (lieu);
  • ce sont des explications “officielles” avancées par des personnalités prestigieuses et très écoutées (statut).
Donc d’un côté, les faits ; de l’autre, les explications, qui combinent une extrême diversité de surface avec une extrême commonalité de présupposés profonds.

Or, que vois-je quand je compare les faits avec les explications ? Je vois que ça ne colle pas. Je vois que, dans l’ensemble limité par les présupposés officiels, toutes les explications, aussi diverses soient-elles, se valent, en ce sens qu’elles sont toutes aussi peu satisfaisantes. Je n’en ai trouvé aucune capable de rendre compte des faits que j’ai observés pendant 3 décennies dans 3 pays. C’est à la fois très décevant et très troublant.

Alors que faire ? Abandonner ? Se dire que les faits ont tort et adopter l’une de ces explications officielles, choisie aléatoirement puisqu’elles sont toutes incapables de rendre compte des faits ? Ou encore pire : se dire qu’il n’existe aucune explication ? Ça serait prématuré.

En plus, ce n’est pas ce que je ressens. Je ressens que certaines tendances lourdes se déroulent pour une raison précise, je vois que certaines explications populaires ont une capacité partielle à expliquer certains aspects mais pas d’autres. Je me dis qu’il faut continuer à creuser.

Mais cela implique de sortir du champ des opinions acceptées (statut/date/lieu). Il faut faire appel à l’histoire des idées : piocher dans les idées qui avaient cours dans le passé et sont aujourd’hui en contradiction avec les presupposés universels. Il faut aller chercher du côté des perdants de l’histoire des idées. Du côté de ceux qui étaient respectés comme des adversaires valeureux, et un jour ont perdu, alors ils ont été complètement laminés et effacés.

C'est donc ce que j’ai fait.

Et, à ma grande surprise, j’ai trouvé qu’il y a un groupe d’idées qui me semble très bien coller aux faits tels que je les observés tout au long de ma vie. Ces idées ont eu un statut très fort à certaines époques dans le passé, mais maintenant peu de gens les connaissent ou les prennent au sérieux. Je n’y peux rien si, moi, je les prends plus au sérieux que toutes les explications officielles. On peut définir ces idées par une succession d’écoles de pensée :
  • les scolastiques de l’université de Salamanque (en Espagne) au XVIème et XVIIème siècles, tels que : Domingo de Soto (confesseur de Charles Quint), Diego de Covarrubias (évèque de Ségovie) et Martin de Azpilcueta.
  • les physiocrates en France au XVIIIème siècle, tels que : Vincent de Gournay (intendant du commerce sous Louis XV), Richard Cantillon et Turgot (ministre des Finances de Louis XVI).
  • l’école française d’économie du XIXème siècle : Jean-Baptiste Say (titulaire de la première chaire d’économie au collège de France), Frédéric Bastiat (député des Landes) et Gustave de Molinari.
  • l’école autrichienne d’économie entre 1871 et la seconde guerre mondiale : Carl Menger (titulaire de la chaire d’économie politique à l’université de Vienne), Eugen von Böhm-Bawerk et Ludwig von Mises (conseiller économique du gouvernement autrichien dans les années 1920).
Il existe une filiation directe entre ces écoles de pensée, et elles partagent essentiellement la même vision du monde, même s’il y a fort heureusement un certain progrès au fil du temps. Dans leurs pays respectifs, elles ont chacune tenu le haut du pavé sur la scène intellectuelle pendant plusieurs décennies.

Aujourd’hui, elles sont tombées en désuétude. C’est un terme relatif. Il y a plus d’économistes de l’école autrichienne vivants que morts. Mais c’est parce que le nombre total d’économistes professionnels sur la planète a explosé. Relativement à la profession d’économiste en général, les héritiers de cette longue tradition sont complètement marginalisés. Ils n’apparaissent pas dans les médias, ne sont pas nommés aux postes de responsabilité dans les gouvernements, et ne détiennent pas de chaires d’université prestigieuses. C’est parce qu’ils ne partagent pas les présupposés qui font qu’une pensée a sa place dans le champ de ce qui est admis actuellement.

C’est donc une pensée fragile, parce que l’ensemble du discours officiel contemporain est destiné à la ridiculiser. Et pourtant, le fait qu’elle ait tenu le haut de pavé pendant si longtemps, dans des pays différents, attirant les meilleurs esprits de son époque, et léguant des livres et des idées qui sont encore lus aujourd’hui, ça devrait suffire à établir que ce n’est ni fou, ni ridicule. C’est une école qui a perdu la lutte intellectuelle du XXème siècle. Pendant la première moitié du XXème siècle, l’école autrichienne était considérée comme un adversaire redouté et respectable. Maintenant c’est une vision incroyablement dépassée, pour ne pas dire extrême. Il se sont fait excommunier par les détenteurs du pouvoir intellectuel, ce sont des hérétiques. Excommunier mais pas exterminer. Ces idées sont encore tolérées dans certains coins reculés, d’où elles ne peuvent pas créer de remous et influencer le grand public.

Géographiquement, ces idées ont encore une fois changé de pays et se développent maintenant principalement aux États-Unis. On peut citer comme figures principales : Murray Rothbard (Brooklyn Polytechnic Institute), Hans-Hermann Hoppe (University of Nevada Las Vegas) et Walter Block (Loyola University New Orleans). Cette tradition a deux journaux de recherche scientifique à comités de lecture : Quarterly Journal of Austrian Economics et Journal of Libertarian Studies ; un think tank : le Ludwig von Mises Institute à Auburn dans l’Alabama ; et même un site internet qui porte un regard original sur l’actualité avec une demi-douzaine d’éditoriaux nouveaux chaque jour : www.lewrockwell.com. Néanmoins, cette tradition n’a pas dans les États-Unis d’aujourd’hui le statut proéminent qu’elle avait en Autriche il y a 100 ans, en France il y a 200 ans ou en Espagne il y a 500 ans, loin s’en faut.

Une partie de ce qui fait qu’une tradition perd la bataille des idées, c’est qu’on lui vole son nom. Les gagnants de la bataille des idées n’ont consenti à leur laisser que des noms imprononçables comme « austro-libertarien » ou « praxéologie », j’en passe et des meilleurs. Alors, si cette tradition de pensée n’a pas de nom, et n’a pas droit de cité dans le débat public, comment la décrire ?

Au niveau le plus fondamental, c’est une tradition qui proclame qu’il existe certaines lois naturelles dans le domaine des sciences humaines, des sciences politiques, de la science économique. Ces lois sont immuables et l’homme peut au mieux les découvrir et les utiliser pour choisir ses actions, mais il ne saurait en aucun cas les modifier, pas plus qu’on ne peut modifier la loi de la gravité. De plus, ces lois ne peuvent être découvertes que par la logique, le raisonnement théorique, et l’introspection : elles ne sont pas susceptibles d’être prouvées ou infirmées par l’expérience, pas plus qu’on ne peut prouver ou infirmer par l’expérience le théorème de Pythagore.

Il faut bien se rendre compte à quel point ces fondements sont en porte-à-faux avec les présupposés du discours contemporain. Cela viole tous les arguments constructivistes selon lequel l’État peut construire un homme meilleur, une société meilleure, si seulement il prend telle ou telle mesure. Actuellement, c’est l’État qui écrit les lois. Eux, ils disent que la loi est au-dessus de l’État.

Cela viole aussi toutes les théories positivistes et empiricistes. Cela offense tous ceux qui essaient de fonder l’économie sur les mêmes bases que la physique : une base expérimentale et une modélisation mathématique poussée.

Il n’existe que deux positions acceptables dans le débat actuel : soit nier la possibilité de tenir un discours scientifique sur l’action humaine, nier l’existence de lois universelles en ce domaine ; soit dire qu’un tel discours scientifique est possible, certaines lois peuvent être découvertes, mais uniquement selon la méthodologie des sciences physiques. Or, eux, rejettent ces deux approches. Ils disent qu’il existe des lois de l’action humaine, mais que celles-ci ne sont pas analogues à celles de la physique, qu’elles procèdent d’une épistémologie différente et spécifique à la nature humaine.

Ces lois sont peu nombreuses, et peu de nouvelles ont été découvertes depuis les scolastiques espagnols du XVIème siècle, même si certains raffinements et certaines conséquences ont été développées au fil du temps. Ces lois sont universelles, et s’appliquent tout autant à un royaume de la Renaissance qu’à une démocratie moderne.

Savoir quelles sont ces lois, c’est en somme moins important que le fait qu’elles existent indépendamment de la volonté activiste des ingénieurs sociaux. Nous sommes tous des ingénieurs sociaux aujourd’hui : nous croyons qu’une peu de volonté suffit à remodeler la société de telle ou telle manière, et nous ne nous posons jamais la question de savoir s’il existe des limites naturelles à ce qu’une telle volonté peut accomplir. C’est précisément ce qui m’a choqué quand j’ai analysé les trois décennies de données accumulées dans trois pays différents : j’ai réalisé que les politiques volontaristes et constructivistes les mieux intentionnées semblaient se heurter à des lois invisibles, un peu toujours les mêmes, qui frustraient leurs efforts et engendraient des conséquences complètement différentes voire opposées.

J’ai trouvé que cette tradition hérétique était la seule qui acceptait la notion que ces lois existent. Une fois que l’on accepte que des lois naturelles de l’action humaine existent, il n’est pas difficile de se mettre d’accord pour savoir lesquelles. Un peu de logique et d’introspection, en s’inspirant des exemples les plus frappants autour de nous, et le tour est joué. Parmi ceux qui acceptent cela, il y a très peu de désaccord au sujet de l’énoncé précis des lois.

La grande question, la voilà : est-il possible de tenir un discours scientifique au sujet de l’action humaine, de l’économie et de l’organisation sociale, un discours qui énonce des lois précises, tangibles et inviolables, et pourtant qui repose sur des présupposés complètement différent de ceux des sciences physiques ? Du XVIème siècle à la seconde guerre mondiale, de grands penseurs reconnus et respectés dans leur pays ont dit que oui. Depuis, ils ont été excommuniés par les maîtres de la pensée moderne, et ne subsistent que dans quelques sanctuaires qu’ils se sont recréés loin des centres de pouvoir.

L'argument-massue qui, à mon sens, prouve sans aucun doute possible que cette approche est non seulement la meilleure mais la seule possible, le voilà. Premièrement, dire qu'il n'existe aucune loi dans les sciences humaines, c'est inacceptable parce que ça nie la capacité de la raison à donner un sens à ce qui nous entoure: c'est la porte ouverte à tout et n'importe quoi. Deuxièmement, dire que ces lois peuvent être identifiées par les mêmes méthodes que dans les sciences physiques, c'est inacceptable parce que ça nie la liberté d'action qui définit notre humanité: ça nous rabaisse au rang de bactéries et d'électrons. C'est pour cela que le seul moyen de dire quelque chose de sensé au sujet de l'économie et de l'organisation sociale est de bâtir un corpus scientifique sur une méthodologie différente de celle des sciences physiques, destinée à prendre en compte spécifiquement la liberté de l'être humain. Parmi les discours qui tombent dans cette catégorie, la pensée de l'école autrichienne est la seule à pouvoir prétendre à être qualifiée de scientifique.

Pour donner une idée de ces lois, on peut faire une liste incomplète mais néanmoins suffisamment représentative pour commencer :
  1. L’action humaine est la poursuite délibérée par un agent des objectifs qu’il s’est fixé, en employant des ressources rares à sa disposition.
  2. Toute action vise à augmenter le bien-être subjectif de l’agent au-dessus du niveau où il aurait été si l’action n’avait pas été faite.
  3. Lors d’une transaction volontaire, les deux parties sont gagnantes. En effet, si l’une au moins des deux parties ne pensait pas que la transaction augmente son propre bien-être subjectif, elle aurait tourné le dos et serait partie sans l’effectuer.
  4. La valeur d’un objet ou d’un service n’est pas un attribut intrinsèque. C’est simplement le prix que paie un acheteur pour cet objet ou ce service au cours d’une transaction volontaire.
  5. Une plus grande quantité d’un bien est préférée à une plus petite quantité du même bien.
  6. Si l’on maintient artificiellement le prix de quelque chose au-dessus du prix qui serait spontanément apparu sur le marché libre, alors il y aura plus de vendeurs et moins d’acheteurs qu’en l’absence d’intervention.
  7. Si l’on maintient artificiellement le prix de quelque chose au-dessous du prix qui serait apparu spontanément sur le marché libre, alors il y aura moins de vendeurs et plus d’acheteurs qu’en l’absence d’intervention.
  8. La production doit précéder la consommation.
  9. Aucune chose ou partie d’une chose ne peut être la propriéte exclusive de plus d’une personne à la fois.
  10. La propriété et les titres de propriété sont deux entités distinctes. L’augmentation du deuxième sans augmentation correspondante du premier n’augmente pas la richesse de la société, mais amène une redistribution de la richesse existante.
Cela n’a l’air de rien, mais c’est beaucoup. Ça a des conséquences multiples sur toutes les grandes questions de société qui occupent la première place dans les débats actuels. Seulement voilà, comme la tradition scolastique-physiocrate-austro-libertarienne n’a pas droit de cité, parce qu’elle a perdu la bataille des idées au XXème siècle, elle ne peut pas peser sur le débat. Si elle essayait de se faire entendre, elle se ferait conspuer et chasser par tous les gardiens du temple de la raison.

Ce ne sont pas juste les présupposés qui ont été déclarés hérétiques, ce sont les conclusions aussi. En effet, il n’est pas surprenant que des présupposés aussi éloignés de ceux qui sont officiellement tolérés engendrent des conclusions tout aussi éloignées de celles qui sont officiellement tolérées.

Quand le débat se déplace du niveau des présupposés à celui des conclusions, le ton change dramatiquement. Au niveau des présupposés, on dit simplement que les méthodes autrichiennes sont dépassées et erronnées. L’erreur est humaine, et la communauté scientifique a décidé que vous aviez tort. On n’attaque pas la personne, la compétence, la santé mentale de ces universitaires : on dit juste qu’ils perdent leur temps et font fausse route. La preuve, c’est que les tenants de cette approche ont quand même des postes de professeur d’économie dans des universités accréditées, même si elles sont peu prestigieuses, au lieu d’être gourous de cultes.

Par contre, au niveau des conclusions, la critique est beaucoup plus sévère : on dit qu’ils sont fous, dangereux, extrémistes. On les compare presque à des terroristes. On dit qu’ils sont méchants, criminels et abominables.

Comment les conclusions logiques d’une approche scientifique qui a régné en maître pendant des siècles dans plusieurs pays civilisés peuvent-elles être qualifiées de folles ? La folie, n’est-ce pas le contraire de la raison, et le caractère rationnel de cette approche scientifique n’est-il pas reconnu par tous, même par ceux (majoritaires) qui préfèrent emprunter une approche scientifique différente ?

Cette question est très gênante. D’autant plus que la liste des 10 lois naturelles de l’action humaine énoncée plus haut ne semble pas folle du tout.

Voilà où j’en suis : la seule théorie de l’action humaine que j’ai trouvée pour expliquer les observations que j’ai collectées durant trois décennies dans trois pays différents fait que je suis traité de fou. C’est une position très désagréable. La quête du savoir a fait de moi un hérétique.

A suivre...

L'anatomie de l'Etat

Voici un texte fondamental de Murray Rothbard prouvant que l'Etat n'est rien d'autre qu'un parasite. La version originale s'intitule Anatomy of the State, et parut pour la première fois dans le Rampart Journal of Individualist Thought, Vol. 1, No. 2 (1965). Cet article a été ensuite reproduit dans le livre Egalitarianism as a Revolt Against Nature and Other Essays (2000) publié par le Ludwig von Mises Institute. Cette traduction française est l'œuvre de Fabrice Ribet.

Version PDF intégrale à télécharger (258 KB): L'anatomie de l'Etat

Alternativement, cet article est divisé en 9 sections qui peuvent être consultées sur l'excellent blog libertarien (avec des images!) de l'ex-énarque Copeau :

  1. Ce que l'Etat n'est pas

  2. Ce qu'est l'Etat

  3. Comment l'Etat se maintient (1/2)

  4. Comment l'Etat se maintient (2/2)

  5. Comment l'Etat transcende ses limites

  6. Ce dont l'Etat a peur

  7. Comment les Etats entrent en relation les uns les autres (1/2)

  8. Comment les Etats entrent en relation les uns les autres (2/2)

  9. L'histoire vue comme une course-poursuite entre le pouvoir d'Etat et la puissance sociale


A suivre...

Une citation de Noam Chomsky

Pour mémoire, Noam Chomsky peut être considéré comme l'inventeur de la linguistique moderne. Donc pas un petit-braquet au niveau du cerveau.

Il est plutôt marqué à gauche. Si un libéral conservateur comme moi vous traduit ses pensées, en moyenne ça sera objectif.

"C'est seulement dans les histoires folkloriques, dans les contes pour enfants, et dans les journaux d'opinion intellectuels [Note de Gallatin: par exemple Le Monde et le Figaro] que le pouvoir est utilisé sagement et positivement pour détruire le mal. Le monde réel enseigne des leçons très différentes, et il faut faire preuve d'une ignorance volontaire et ciblée pour ne pas s'en apercevoir."
Noam Chomsky, discours intitulé "Le monde après le 11 septembre", conférence de l'AFSC à l'université Tufts, Massachusetts, Etats-Unis, 8 décembre 2001.
A suivre...

Tout pout le profit - 2ème partie

Ceci est la continuation de mon dialogue avec Emmanuel, l'auteur du blog français soutenant la campagne de Ron Paul, le candidat libertarien à l'investiture du parti républicain pour les élections présidentielles américaines de 2008. Nous en étions à débattre de l'idée selon laquelle les industriels et commerçants seraient motivés uniquement par une logique de profit maximum. C'est intéressant parce qu'Emmanuel pose tout haut des questions auxquelles la plupart de mes lecteurs pensent sans doute tout bas.

Réponse de Gallatin



Je voudrais commencer par souligner nos points communs.

Nous sommes d’accord que la plupart des patrons d’entreprises sont passionnés par ce qu’ils font, et que l’argent n’est venu qu’après coup.

[Digression] Si c’est rarement des philanthropes, c’est peut-être parce que l’état, ayant remarqué que la philanthropie était une bonne chose, se l’est appropriée. Pour justifier son existence et étendre son pouvoir, l’état a nationalisé la charité, excluant par sa présence même les philanthropes privés.

Supposons que tu gagnes 100 000 euros, et que 10 000 sont taxés pour financer les dépenses de fonctionnement de l’état (police, justice, armée, diplomatie). Jusque là, ça va, il te reste 90 000 euros. Tu peux en dépenser 20 000 en « bonnes œuvres » et en garder 70 000 pour ta consommation personnelle.

Maintenant imagine que l’état te taxe 20 000 euros supplémentaires pour financer ses « aides sociales ». Alors tout est foutu. Les pauvres ont déjà les 20 000 euros que tu voulais leur donner, donc ils n’ont plus besoin de toi. Tu n’as plus les 20 000 euros que tu voulais leur donner, donc de toute façon tu n’aurais pas pu les aider même s’ils en avaient eu besoin. Les pauvres ne sont pas reconnaissants parce qu’ils considèrent ce don comme un dû et ne feront aucun effort pour en être dignes. Tu n’iras pas au paradis parce que ton acte de charité était forcé. Le seul gagnant, c’est l’état ! [Fin de la digression]


Autre point commun, nous sommes d’accord que les fonctionnaires peuvent être corrompus. Nous sommes aussi d’accord que certaines entreprises instrumentalisent le pouvoir régulateur de l’état pour écouler leurs produits qui, sinon, ne trouveraient pas acheteur. A mon sens, c’est un argument contre l’état et non contre le marché, car si l’état ne régulait rien du tout, ces entreprises seraient forcées de mieux satisfaire les besoins de leurs clients.

Nous sommes aussi d’accord que les fonctionnaires peuvent tuer pour des raisons purement idéologiques.

Donc les deux principaux messages de mon article : cessons de peindre les entrepreneurs de manière caricaturale comme des obsédés ; et montrons aussi peu d’indulgence envers les fonctionnaires qu’envers les entrepreneurs – ont été acceptés.

De mon côté, je concède volontiers que l’organisation du secteur privé en entreprise fait que chaque entreprise peut développer une culture, un système qui transcende les motivations individuelles de ses employés. Donc il est possible qu’un système oriente les actions de gens a priori normaux dans un sens unique.

Si certaines entreprises peuvent développer un système orienté vers le profit, ça soulève deux questions :
  1. Existe-t-il une limite naturelle à ça ? Jusqu’où cette quête du profit peut-elle aller sans détruire l’entreprise elle-même ? Qu’est-ce qui empêche cette culture du profit de violer les règles minimales de la vie en société ?

  2. Quel est le système naturel qui se développe dans le secteur public ?

A la première question, je réponds : cette limite, c’est l’atteinte au droit de propriété et à la vie d’autrui. Si l’entreprise orientée vers le profit signe un contrat où elle promet de délivrer X dans le futur et qu’elle ne le fait pas, elle est voleuse. La loi la punira. La victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la propriété et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation !

Si l’entreprise orientée vers le profit vend un produit comme étant un médicament ou un aliment, mais qu’en réalité c’est un poison qui tue, et qu’elle le savait, elle est meurtrière. La loi la punira. La famille de la victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la vie et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation.

Il me semble crucial de noter que, même si on recherche le profit, on n’a pas le droit de voler et de tuer pour maximiser son profit. Cela fixe une limite infranchissable. Même en l’absence de toute régulation, un système orienté vers le profit ne peut pas violer les règles minimales de la vie en société.

Donc l’existence ou pas de régulations, ce n’est pas la différence entre protéger la victime ou la laisser sans défense, loin de là. C’est juste savoir s’il faut accorder des droits supplémentaires à des soi-disant « victimes » dont les droits naturels (à la propriété et à la vie) ont été scrupuleusement respectés. Ce qui est quand même beaucoup moins clair.

Sur le deuxième point, il me semble évident que le secteur public s’oriente naturellement vers la maximisation de son propre pouvoir en tant qu’organisation, au détriment de l’intérêt du reste de la société. C’est autrement plus grave que quand les entreprises maximisent le profit car, face à l’état, les victimes ayant souffert une violation de leur droit de propriété ou de leur droit à la vie ne peuvent pas avoir recours à un juge impartial. Dans tout conflit entre un citoyen et l’état, le juge, c’est... un membre de l’appareil d’état !

Pour finir, quelques remarques en vrac :
  1. Je n’ai pas vu le film « Sicko » de Michael Moore, mais LewRockwell.com, un site où Ron Paul a publié 400 articles depuis 1994, en a fait une critique dévastatrice que je te conseille de lire ici.

  2. Quand tu dis « Dans un monde sans régulation, les plus forts, les plus malins vont très souvent chercher à abuser des plus faibles, des gogos. » il me semble que c’est un argument auquel je réponds dans mon article La chasse au client.

  3. Quand tu dis : « Par nature ces régulations sont imparfaites » il me semble que cela fait une transition vers mon article Les régulations atteignent leur objectif.

Gallatin.



Réponse d'Emmanuel



Voici avec un premier élément de réponse:

Jusqu’où cette quête du profit peut-elle aller sans détruire l’entreprise elle-même ? Qu’est-ce qui empêche cette culture du profit de violer les règles minimales de la vie en société ?(…) cette limite, c’est l’atteinte au droit de propriété et à la vie d’autrui. Si l’entreprise orientée vers le profit signe un contrat où elle promet de délivrer X dans le futur et qu’elle ne le fait pas, elle est voleuse. La loi la punira. La victime intentera un procès pour violation de son droit naturel à la propriété et le gagnera. Nul besoin de la moindre régulation !

Ce raisonnement est logique mais j’y vois quelques objections majeures :


L’idée de l’homme, de la vie et sa valeur

D’une part si l’Etat n’intervient pas pour réglementer une pratique manifestement dangereuse et que l’on attend que les victimes s’organisent, se battent juridiquement, prouvent la réalité du dommage, et obtiennent compensation, il est fort probable qu’un certain délai va s’écouler. Délai pendant lequel la société aura continué son activité incriminée. Ce délai de règlement judiciaire du conflit aura pour conséquence de créer de nouvelles victimes dans ce laps de temps. La question fondamentale ici est pour moi la suivante : Vaut-il mieux laisser le marché et le judiciaire régler naturellement ce problème, quitte à laisser cette entreprise faire de nouvelles victimes ? Ou faire intervenir l’Etat pour protéger des victimes potentielles ? Pour moi tout ne peut pas se « régler » ou se « compenser » par une somme d’argent. Une personne décédée ne va pas ressusciter parce qu’elle (ou ses ayants droits) touchent le pactole devant une juridiction. C’est l’idée même de l’homme et de la vie qui est ici en cause. Peut on mettre un prix sur une vie au nom de la liberté du marché?

Ensuite certains dommages ne sont simplement pas réparables et cela dans deux cas :


L’insolvabilité réelle ou organisée de l’entreprise

Lorsque le dommage excède de beaucoup les capacités financières de l’entreprise, il ne reste plus qu’à cette dernière à se mettre en faillite et la victime n’a plus que ces yeux pour pleurer. De plus certaines activités économiques ne sont pas assurables (par exemple refus des assurances de couvrir les risques de cancer liés à l’utilisation du téléphone portable, malgré de nombreuses études « rassurantes » faites pour les opérateurs télécoms). L’on pourrait également évoquer le cas des mises en faillite frauduleuse, souvent tentante pour éviter de faire face à ces obligations.


La dimension prométhéenne de l’activité humaine contemporaine

Enfin, l’activité humaine a par nature considérablement évoluée depuis l’époque de Bastiat & Co. Les impacts environnementaux de l’industrie étaient nécessairement limités par les connaissances techniques de l’époque. Un cordonnier, un chaudronnier ou un paysan au milieu du 19e siècle avaient un impact potentiel limité sur leurs contemporains. Cela est bien différent aujourd’hui à l’heure du nucléaire, de l’agriculture intensive et des téléphones portables. Les conséquences possibles de certaines activités humaines sont de nature à mettre en danger la survie même de l’espèce humaine (pour le moins dans certaines zones du globe même si l’on s’aperçoit aujourd’hui des répercussions planétaires d’activités dites « locales »). Aucune monétarisation a posteriori d’un dommage écologique grave ne serait alors en mesure de le réparer.

Emmanuel.
A suivre...

Hommes d’état contre Entrepreneurs

Les différences font le sel de la vie. Si le monde était uniquement peuplé de clones génétiquement identiques les uns aux autres et psychologiquement conditionnés à penser pareil, ne serait-il pas un peu triste?

Il y aura toujours des gens au quotient intellectuel élevé, et d’autres à faible Q.I. Il y aura toujours des courageux et des lâches. Des gens capables de consentir des efforts qui ne paieront que dans dix ans, et d’autres qui sacrifient leur futur par paresse. Des gens capables de coopérer avec leur prochain pour tendre vers des objectifs communs, et d’autres qui en sont incapables.

Les premiers réussiront toujours mieux que les seconds.

Le seul moyen d’empêcher cela est d’imposer une égalité forcée qui nie et la nature humaine et la liberté. Staline, Mao et Pol Pot ont essayé. Même en assassinant des centaines de millions de leurs propres concitoyens, ils n'ont pas réussi. Il est extrêmement difficile de trouver de plus grands criminels qu’eux dans l’histoire de l’humanité.

Appelons “surdoués” les gens qui sont intelligents, courageux, orientés vers le long terme et coopératifs, et “gens normaux” les autres. Du point de vue des intérêts propres de la catégorie des gens normaux, et uniquement des gens normaux, que faut-il faire des surdoués? Les exterminer n’est ni humain, ni même utile. Les gens normaux bénéficient énormément de l’existence d’un Louis Pasteur, d’un Victor Hugo ou d’un Gustave Eiffel. Alors que faire de ces surdoués?

Il existe 2 possibilités:

A1) On leur interdit d’user de la contrainte sur les gens normaux: les gens normaux qui veulent ignorer un surdoué peuvent le faire, rentrer chez eux, et on les laissera tranquille. De plus, on met les surdoués en compétition les uns avec les autres: c’est-à-dire qu’ils se font concurrence entre eux pour le privilège d’interagir avec les gens normaux, et ce sont les gens normaux qui choisissent avec qui ils traitent.

Ou alors:

A2) On leur permet d’user de la contrainte physique pour forcer les gens normaux à obéir. De plus, on arroge un monopole local à chaque surdoué: à un instant donné, à un endroit donné, il n’existe qu’un seul surdoué auquel les gens normaux peuvent s’adresser pour remplir une fonction donnée.

La différence entre les 2 possibilités d’emploi pour les surdoués se résume donc ainsi: soit ils doivent user de persuasion dans un contexte de concurrence, soit ils peuvent user de la contrainte physique en situation de monopole.

Vues ces deux possibilités, il semble évident que les gens normaux bénéficient largement plus du premier mode d’organisation social que du second. Comme les surdoués sont plus intelligents, courageux, etc, le premier mode réduit leur avantage naturel en leur interdisant l’usage de la coercition physique et en les mettant en concurrence les uns contre les autres. Par contraste, le second mode accroît leur avantage naturel en leur remettant l’arme de la contrainte physique et en les protégeant de la concurrence des autres surdoués.

Le premier mode est celui du secteur privé. Dans le secteur privé, on ne peut pas forcer physiquement les gens à consommer un produit, et on est perpétuellement en situation de concurrence. Les surdoués qui exercent une activité dans le secteur privé s’appellent les créateurs d’entreprise et les chefs d’entreprise.

Le second mode est celui de l’état. Dans le secteur public, on utilise la police pour faire appliquer ses décisions par la force. Et on n’a pas de concurrence à craindre puisque les autres états n’opèrent qu’à l’intérieur de leurs frontières. Les surdoués qui exercent dans le secteur public s’appellent les hommes politiques et les hauts fonctionnaires.

Il est donc nettement préférable pour les gens normaux d’avoir affaire à des entrepreneurs qu’à des hommes d’état.

Pour être tout à fait exhaustif, je dois mentionner l’existence d’une légende qui prétend le contraire. Selon elle :

  1. Le recrutement pour les postes de hautes responsabilités au sein de l’état n’attire que des gens profondément altruistes, des saints.

  2. Une fois nommés à leur poste, leurs nouveaux pouvoirs ne montent pas à la tête de ces saints car leur âme est pure et incorruptible.

  3. Non seulement ces gens-là ont une trempe de fer qui les empêche d’agir dans leur propre intérêt, mais ils utilisent leurs formidables pouvoirs pour répandre le bien à travers le peuple des gens normaux.

Le premier argument est contraire à la nature humaine, parce que les positions de pouvoir attirent ceux qui sont avides de pouvoir aussi sûrement que la bouse attire les mouches. Le second n’est possible que si les surdoués sont d’une essence désincarnée, éthérée, déshumanisée. Le troisième est un conte de fées pour enfants de 5 ans.

Et qui propage cette légende? Les surdoués parvenus aux postes-clés de l’état qui élaborent les programmes officiels enseignés dans les écoles et universités publiques!

Vous qui entendez cette légende depuis votre plus tendre enfance, est-ce que vous commencez à avoir quelques doutes maintenant?
A suivre...

Les régulations atteignent leur objectif

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'adresse enfin la question de savoir si les législations régulatrices réussissent à protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société. C'est-à-dire je demande si les régulations atteignent le but qu’elles se donnent.

Interdire une action ou une transaction volontaire ne suffit pas à l’éliminer. Ça se passera quand même, mais « au noir ». La plupart des gouvernements interdisent la prostitution, et pourtant c’est le plus vieux métier du monde. La plupart des gouvernements interdisent la drogue, et pourtant il y a des drogués partout.

D’abord, les gens qui voudraient faire des choses proscrites se reportent sur des choses similaires mais permises. Si on ne peut pas faire de la pub pour certains médicaments, on en fera pour de la para-pharmacie (crèmes anti-rides, etc). Donc de toutes façons il y aura un moyen de capter l’argent des gens qui sont mal dans leur peau en leur vendant un peu de rêve. Si on ne peut pas consentir des prêts à des gens ayant peu de collatéral, on proposera des investissements peu rentables ou trop risqués pour capter les économies des gens qui rêvent de devenir riches sans travailler. Comme on ne peut pas tout réguler, tout interdire, il y aura une course-poursuite incessante entre les législateurs et les entreprises pour innover de manière à contourner les règles. Ça ne changera strictement rien, mais les perdants seront les contribuables qui paient les législateurs à pondre des lois inutiles, et les consommateurs qui paient les entreprises pour imaginer des produits inutilement complexes.

Ensuite, les gens qui voudraient faire des choses proscrites continueront à le faire dans l’économie souterraine. Il y aura des pilules qui se vendent sous le manteau dans des endroits louches. Il y aura des usuriers flanqués de collecteurs de dette musclés qui prêteront de l’argent aux gens désespérés. Au total, l’échange se fera quand même, mais hors de la protection de la loi. En cas de fraude, la victime ne pourra pas porter plainte pour demander réparation. Sûrs de leur impunité, les vendeurs de pilules et les prêteurs à gage seront systématiquement plus disposés à frauder. Donc en fin de compte c’est le consommateur qui se fera avoir.

Cette prohibition aura donc l’effet exactement opposé de celui recherché : elle ne protègera pas le consommateur, elle le livrera pieds et poings liés aux gangs de criminels.
A suivre...

Le gouvernement, protecteur des faibles?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, je me demande maintenant si le gouvernement est le mieux placé pour protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

On ne peut pas faire le bonheur de quelqu’un contre son gré. Or le gouvernement détient le monopole de la contrainte, de la coercition, de la force. Donc il est le moins bien placé pour faire le bonheur contre leur gré des faibles, des naïfs, de ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

Pour donner une analogie, c’est exactement comme si je disais à une femme : « Voilà. J’ai bien réfléchi à ta situation. Et j’ai conclu que c’était mieux pour toi que tu m’épouses. Je ferai ton bonheur, même si tu es trop conne pour t’en rendre compte par toi-même. Donc je vais te forcer à me dire oui en face de monsieur le maire. Si tu refuses, je t’imposerais des amendes et/ou te jetterai en prison. »

Il est possible qu’effectivement cette pauvre fille bénéficie qu’on la convainque de m’épouser, mais ça ne peut en aucun cas venir de quelqu’un qui dispose de l’usage de la force et de la contrainte. De la part de quelqu’un qui a un bâton, tout argument devient une menace, et maintenir son désaccord devient un risque tangible.

On peut prévenir les gens qu’ils vont regretter leur décision, mais on ne peut pas les forcer. C’est exactement la politique étrangère de Ron Paul, le candidat à l’investiture républicaine pour la Maison Blanche. Il dit que, si on veut qu’une nation étrangère comme le Vietnam ou l’Irak devienne plus libre, on peut discuter ou faire du commerce avec elle, mais pas l’envahir.

Une bien meilleure source de protection pour les faibles est la concurrence. En effet, toutes les compagnies pharmaceutiques peuvent faire de la publicité pour leurs produits. Et pourtant les gogos ne vont pas acheter chaque produit vanté par la réclame. Il y aura concurrence entre les produits, et comme les consommateurs ont un budget limité à leur disposition, certains produits auront du succès et d’autres pas.

La distinction se fera-t-elle sur la qualité du spot de pub ? Même là, il y a concurrence entre les agences. Si une agence développe une nouvelle technique de marketing, les autres la copieront. A moyen terme, il faut bien supposer que l’efficacité d’une campagne publicitaire est proportionnelle à son budget, car le talent s’achète.

Donc quel produit sera gagnant ? Celui qui marche le mieux. C’est l’effet « bouche à oreille » : Madame Michu au 6ème étage a acheté des pilules Zorg et depuis je la vois monter et descendre les escaliers pour faire une promenade deux fois par jour, alors qu’avant elle sortait à peine trois fois par semaine pour faire ses courses. Même les consommateurs les plus idiots sont capables d’acheter des revues comme « Que choisir ? » ou « 50 millions de consommateurs » qui font des essais comparatifs. Ce sont d’ailleurs les plus consommateurs les plus avides qui sont les plus à même d’acheter de telles revues. Avec l’internet, il est difficile de croire que le produit le plus efficace ne s’adjugera pas la plus grosse part de marché. Les âmes charitables qui veulent voler au secours des simples d'esprit feraient mieux de fonder de telles revues ou de telles sites que de donner les pleins-pouvoirs aux gendarmes.

Ce n’est pas parfait, bien sûr, mais en moyenne, à long terme, la concurrence entre vendeurs protège les acheteurs. Dès qu’il y a concurrence, il est difficile de gagner des parts de marché en vendant du vent.

Là encore, l’exemple de Ron Paul est édifiant. Tous les candidats républicains dépensent leur budget à faire de la pub, et essaient de profiter de la puissance de l’internet. Mais ça ne marche que pour celui dont le message de liberté résonne avec l’américain de base. C’est le meilleur produit politique qui bat la concurrence à plate couture, même si la publicité est permise.
A suivre...

Protéger les naïfs : est-ce désirable ?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, je me demande ici s'il est désirable de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

Une interdiction imposée par l’état frapperait tous les clients potentiels. Vue la diversité humaine, certains achetaient le produit ou le service pour de « bonnes » raisons, et d’autres pour de « mauvaises » raisons (en supposant qu’on soit assez omniscient pour pouvoir distinguer, assez arrogant pour être sûr de son jugement, et assez violent pour l’imposer par la force). Au nom de quoi sacrifie-t-on celui qui aurait bénéficié de l’achat pour « sauver » celui qui aurait fait l’achat pour de « mauvaises » raisons ? N’est-il pas immoral de pénaliser celui qui a assez de jugement pour prendre les « bonnes » décisions et de récompenser celui qui ne s’est pas donné la peine de réfléchir avant de dégainer son porte-monnaie ?

Si l’état pénalise un comportement et récompense un autre, fatalement le comportement pénalisé se fera plus rare, et celui récompensé plus fréquent. On aura donc une société où les gens perdront l’habitude de réfléchir par eux-mêmes, et prendront l’habitude de s’en remettre à l’état pour tout. On voit bien ce en quoi cela bénéficierait à l’état en tant qu’institution, mais on voit mal en quoi cela concourrait au progrès de la civilisation et serait dans l’intérêt de l’humanité.

Ce qui est désirable sur le plan éthique, c’est que chaque adulte soit responsable des décisions qu’il prend. Car si lui n’en est pas responsable, au nom de quoi un autre le serait-il ? Toute atteinte à la notion de responsabilité est profondément déshumanisante, infantilisante et humiliante. Si on traite les gens ainsi, il ne faut pas s'étonner qu'ils se comportent en animaux prisonniers de leurs plus bas instincts, en éternels adolescents insatisfaits, et en mendiants professionnels. Mais peut-être est-ce là le but recherché par nos chers dirigeants? Car une telle masse informe, incapable de volonté à long terme, est tellement plus facile à mener à la baguette avec du pain et des jeux...

Comptons les contents et les mécontents d’une telle interdiction soi-disant protectrice:

  • Celui qui achetait le produit pour de bonnes raisons est mécontent.

  • Le marchand qui vendait le produit est mécontent.

  • Celui qui achetait le produit pour de « mauvaises » raisons est perdant aussi, parce qu’il est persuadé au moment de l’achat que cet achat était dans son intérêt personnel ; on ne l’a pas convaincu qu’il avait tort, on l’a juste forcé à ne pas faire ce qu’il voulait ; donc il n’est pas content.

  • Le fonctionnaire qui a imposé l’interdiction est content, parce que cela justifie son salaire.

  • Le contribuable qui paie le salaire du fonctionnaire n’est pas content.

On le voit, cette interdiction ne bénéficie qu’à l’état, et aucunement au peuple que l’état est censé servir. La vérité est que l’état est à son propre service. Il produit des interdictions arbitraires pour scinder le peuple qu’il contrôle en groupes d’intérêts opposés (selon le vieux principe : diviser pour mieux régner), et réinvestit ses bénéfices dans une propagande massive pour déguiser sa forfaiture.
A suivre...

Protéger les naïfs : est-ce possible ?

Dans le cadre de ma série sur le rôle régulateur de l'état, j'examine à présent l'idée selon laquelle il est possible de protéger les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société.

La triste vérité, c’est qu’on ne peut pas empêcher les gens de faire des conneries. A la limite, on ne pourra jamais empêcher les gens de se suicider. Si on empêche une connerie, les faibles, les naïfs, ceux qui n'ont pas le savoir, l'éducation, ou la maîtrise nécessaire de la complexité de notre société en feront une autre. Cela revient à faire un choix entre des conneries permises et d’autres qui ne le sont pas. Mais à partir du moment où la pire des conneries, qui est le suicide, sera toujours possible, ce choix est purement arbitraire, et on ne peut pas dire qu’on empêche les grosses conneries pour ne permettre que les petites.

D’ailleurs, une société où le suicide serait interdit serait une société infiniment triste. Les esclaves n’avaient pas le droit de s’auto-mutiler. Un soldat assujetti aux ordres de ses officiers n’a pas le droit de se suicider non plus. Ce sont là les deux conditions humaines qui représentent la négation parfaite de la liberté. La liberté, c’est aussi la liberté de faire des conneries.

En général, ce sont les sociétés les plus sévèrement contrôlées, c’est-à-dire celles où les gens ont le moins le droit de faire leurs propres conneries, qui ont le taux de suicide le plus élevé.

En allant un cran plus loin, si on veut le modèle d’une société où le suicide est non seulement interdit mais impossible, il y en a un seul : l’enfer décrit par Jean-Paul Sartre dans sa célèbre pièce de théâtre "Huis Clos". Même battre des paupières pour se reposer un instant des tourments de l’enfer était impossible.

Si donc on reconnaît que disposer librement de son corps est une condition fondamentale de la dignité humaine, ce qui implique de pouvoir en user pour le bien ou le mal, le développer ou le meurtir, alors a fortiori les gens peuvent faire les autres conneries de moindre importance qui ne mettent en danger que les biens matériels en leur possession.

De plus, il est complètement impossible de juger de manière objective du caractère inutile, défectueux ou nocif d’un produit ou d’un service. Un placébo, par exemple, est inutile parce qu’il ne contient aucun médicament actif, et pourtant il guérit certains malades par un effet purement psycho-somatique. L’espérance mathématique de gain au loto est négative, et pourtant ça donne un peu de joie et d’excitation aux gens qui n’en ont pas d’autre. Transpercer ses organes génitaux avec des petits bijoux est nocif, et pourtant beaucoup de jeunes adorent ça. On pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Pour déterminer si l’interdiction de telle ou telle transaction commerciale protège le client (qu’on suppose naïf), ou au contraire lui nuit, il faudrait lire dans son âme. On ne sait pas pourquoi les gens font ce qu’ils font. Il faudrait être Dieu pour en juger. Or aucun homme et aucune collectivité d’hommes ne peut se prendre pour Dieu. Ça serait fou et dangereux.

Cette attitude présuppose que celui qui porte le jugement est omniscient et supérieur au client dit « faible et naïf ». C’est une négation profonde du principe d’égalité auquel les Français, et surtout les agents de l’état, se disent si attachés. Et pourtant il faut bien être supérieur pour juger qu’un autre est incapable de savoir ce qui est bon pour lui. L’état ne peut pas se positionner par rapport à ses administrés comme un père vis-à-vis de ses enfants en bas âge, ce serait profondément insultant et infantilisant. Les membres de l’appareil d’état sont des hommes comme les autres, ni plus sages ni plus justes, et le fait d’avoir passé un concours de fonctionnaire ou gagné une élection ne leur confère aucun pouvoir divinatoire surhumain.

A suivre...

Technorati